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LA DERNIÈRE ALDINI.

Nous trouvâmes la signora assise au pied de la colonne et toute vêtue de blanc, costume assez peu d’accord avec le mystère d’un rendez-vous en plein air, mais par cela même très conforme à la logique de son caractère. En me voyant approcher, elle demeura tellement immobile, qu’on l’eût prise pour une statue placée aux pieds de la nymphe de marbre blanc.

Elle ne répondit rien à mes premières paroles. Le coude appuyé sur son genou et le menton dans sa main, elle était si rêveuse, si noblement posée, si belle, drapée dans son voile blanc au clair de la lune, que je l’eusse crue livrée à une contemplation sublime, sans l’amour du chat et celui du blason qui me revenaient en mémoire.

Comme elle me semblait décidée à ne pas faire attention à moi, j’essayai de prendre une de ses mains ; mais elle me la retira avec un dédain superbe en me disant d’un ton plus majestueux que Louis XIV :

— J’ai attendu !

Je ne pus m’empêcher de rire, en entendant cette citation solennelle ; mais ma gaieté ne fit qu’augmenter son sérieux.

— À votre aise ! me dit-elle. Riez bien : l’heure et le lieu sont admirablement choisis pour cela !

Elle prononça ces mots avec un dépit amer, et je vis bien qu’elle était réellement fâchée. Alors, redevenant grave tout d’un coup, je lui demandai pardon de ma faute involontaire, et lui dis que pour rien monde je ne voudrais lui causer un instant de chagrin. Elle me regarda d’un air indécis, comme si elle n’eût pas osé me croire. Mais je me mis à lui parler avec une effusion si sincère de mon dévouement et de mon affection, qu’elle ne tarda pas à se laisser persuader.

— Tant mieux, tant mieux, me dit-elle ; car, si vous ne m’aimiez pas, vous seriez bien ingrat, et je serais bien malheureuse.

Et comme je restais moi-même étonné de ses paroles :

— Lélio ! s’écria-t-elle, ô Lélio ! je vous aime depuis le soir où je vous vis à Naples pour la première fois, jouant Roméo, où je vous regardais de cet air froid et dédaigneux qui vous épouvantait si fort. Ah ! vous étiez bien éloquent dans vos chants et bien passionné ce soir-là. La lune vous éclairait comme à présent, mais moins belle, et Juliette était vêtue de blanc comme moi. Et pourtant vous ne me dites rien, Lélio !

Cette étrange fille exerçait sur moi une fascination perpétuelle qui m’entraînait toujours et partout, au gré de sa mobile fantaisie. Tant qu’elle était loin de moi, ma pensée échappait à son empire, et j’analysais librement ses actions et ses paroles ; mais une fois près d’elle,