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j’arrivais à mon insu à n’avoir bientôt plus d’autre volonté que la sienne. Cet élan de tendresse réveilla mon ardeur assoupie. Tous mes beaux projets de sagesse s’en allèrent en fumée, et je ne trouvai plus sur mes lèvres que des paroles d’amour. À chaque instant, il est vrai, je me sentais saisi de remords ; mais j’avais beau faire, tous mes conseils paternels finissaient en paroles amoureuses. Une fatalité bizarre, ou plutôt cette lâcheté du cœur humain qui vous fait toujours céder à l’entraînement des délices présentes, me poussait toujours à dire le contraire de ce que me dictait ma conscience. Je me donnais à moi-même les meilleures raisons du monde pour me prouver que je n’avais pas tort ; c’eut été une cruauté inutile de parler à cette enfant un langage qui eût déchiré son cœur, il serait toujours temps de l’éclairer sur la vérité, et mille autres choses pareilles. Une circonstance qui semblait devoir diminuer le péril contribuait encore à l’augmenter. C’était la présence de Lila. Si elle n’eût pas été là, mon honnêteté naturelle m’eût fait veiller sur moi avec d’autant plus de soin, que tout m’eût été possible dans un moment d’emportement, et je n’eusse probablement pas avancé d’un pas, de peur d’aller trop loin. Mais sûr de n’avoir rien à craindre de mes sens, je m’inquiétai bien moins de la liberté de mes paroles. Aussi ne fus-je pas long-temps sans arriver au ton de la passion la plus ardente, quoique la plus pure, et, poussé par un mouvement irrésistible, je saisis une mèche des cheveux flottans de la jeune fille, et la baisai à deux reprises.

Alors, je ne sais pourquoi, je sentis le besoin de m’en aller, et je m’éloignai rapidement de la signora, en lui disant : À demain.

Pendant toute cette scène, j’avais peu à peu oublié le passé, et je n’avais pas un seul instant songé à l’avenir. La voix de Lila, qui me reconduisait, me tira de mon extase.

— Ô monsieur Lélio, me dit-elle, vous ne m’avez pas tenu parole. Vous n’avez été ce soir ni le père, ni l’ami de ma maîtresse.

— C’est vrai, lui répondis-je assez tristement ; c’est vrai, j’ai eu tort. Mais sois tranquille, mon enfant ; demain je réparerai tout.

Le lendemain vint, et fut pareil, et l’autre lendemain encore. Seulement je me sentis chaque jour plus fortement épris ; et ce qui n’était au premier rendez-vous qu’une velléité d’amour, était déjà devenu au troisième une véritable passion. L’air désolé de Lila me l’eût bien fait voir, si je ne m’en fusse moi-même aperçu le premier. Tout le long du chemin je rêvai à l’avenir de cet amour, et je rentrai à la maison triste et pâle. Checca ne fut pas long-temps à voir de quoi il s’agissait.

Povero, me dit-elle, je l’avais bien dit que tu pleurerais bientôt.