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premier effet du devoir est de diminuer les maux de la vie, d’en adoucir l’amertume et d’y mêler tout un ordre ineffable de jouissances inconnues à ceux que les passions mauvaises dominent ou que l’égoïsme concentre en eux-mêmes. Le devoir réalise le droit. Le peuple, pour triompher certainement, ne doit vouloir rien que de juste. La sûreté, la liberté, la propriété de tous sans exception, doivent lui être sacrées. Le peuple doit s’associer et pratiquer le devoir dans l’association.

xvi. Le peuple ne doit s’abuser ni sur le temps, ni sur les choses. Il doit se garder de rêver l’impossible. L’égalité des positions et des avantages annexés à chaque position n’est point dans les lois de la nature. Le mouvement de la vie sociale oppose un obstacle invincible à l’égalité des fortunes. L’état misérable du peuple ne peut pas non plus changer tout d’un coup. Rien de ce qui doit durer ne se fait qu’à l’aide du temps. Mais les hommes de travail doivent prendre courage. – Tableau de l’avenir. – Bonheur du peuple qui goûtera toutes les jouissances de l’art et de la contemplation du beau. L’Évangile du Christ, scellé pour un temps, sera ouvert devant les nations. On ne verra dans le criminel qu’un frère égaré, un malade. On ne connaîtra plus la peine de mort. — Le monde ne formera qu’une même cité qui saluera dans le Christ son législateur suprême et dernier. Les causes de guerre auront disparu ; le bien-être de chacun, étroitement lié au bien-être de tous, croîtra par un progrès nécessaire. Cependant le mal ne sera jamais détruit ici-bas, mais le peuple ne doit pas oublier que l’ame est immortelle.

Telles sont les idées contenues dans le Livre du Peuple. On voit qu’en elles-mêmes elles ne sont pas très neuves ; mais elles trouvent de l’originalité dans leur enchaînement et surtout dans le caractère de celui qui s’est donné la peine de les associer dans une éclatante phraséologie. Désormais il ne saurait être douteux pour personne que M. de La Mennais a rompu définitivement les derniers liens de l’orthodoxie catholique qui pouvaient le retenir encore, et qu’il cherche les élémens d’un système nouveau. L’homme qui avait dit que le sentiment est variable et faux, que le raisonnement est trompeur, qu’une autorité extérieure est seule certaine, embrasse aujourd’hui le culte de la raison individuelle, et nous sommes obligés de dire que ce début dans l’ordre philosophique n’est pas heureux, car M. de La Mennais n’a nullement compris la théorie de l’intelligence et des lois de la raison. La souveraineté du peuple n’étant aux yeux de l’auteur que la collection des souverainetés individuelles ; elle n’est plus que