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DU RADICALISME ÉVANGÉLIQUE.

la souveraineté du nombre, et voilà M. de La Mennais d’accord avec les conséquences extrêmes, non pas de la démocratie, mais de la démagogie. Prenez la première partie du livre de M. de La Mennais, où, au nom de la parole chrétienne, il appelle le peuple, c’est-à-dire les plus malheureux et les plus ignorans de l’espèce humaine, à la domination : vous croiriez lire un évangile rédigé à l’usage des anabaptistes de Munster ; mais tournez la page, voici venir la théorie du devoir, la prédication du dévouement, de la charité, de la vanité des choses humaines et de l’immortalité de l’ame. Tirez les conséquences des propositions émises dans cette seconde partie, et le peuple n’aura plus de pensée que pour le travail, pour les joies intimes du cœur, pour les dogmes de la foi chrétienne, et pour les promesses d’une autre vie. Si le peuple ne lit que les premières pages, il court aux armes ; s’il achève le livre, il se résigne et s’abîme dans la prière, le dévouement et l’humilité.

Voilà qui prouve invinciblement la bonne foi de M. de La Mennais et la candeur de son génie. Mélancolique, ayant l’humeur dantesque, comme il l’a dit en parlant de lui-même, il a vu l’humanité pâle, malade, défaillante, couverte de vêtemens de deuil parsemés de taches de sang, et il s’est ému profondément de cette vision qui l’obsédait. Dans ses premiers transports, il a crié vengeance, puis peu à peu il s’est calmé, d’anciens souvenirs sont rentrés dans son cœur, et le traducteur de l’Imitation de Jésus-Christ s’est retrouvé. Du choc de ces affections contradictoires est né Le Livre du peuple, livre de colère et de mansuétude, de sédition et d’ascétisme, tracé par un tribun et par un saint, matérialiste et mystique, se détruisant lui-même, sans unité, sans effet possible, sans danger, mais curieux monument des débats douloureux d’une grande ame qui s’est fait, de la recherche de la vérité, une passion immortelle.

Tout ce qui, dans l’ouvrage de M. de La Mennais, a trait aux devoirs généraux et particuliers, ne saurait avoir ni nouveauté, ni grand intérêt : c’est une page du catéchisme cousue à un lambeau du Contrat Social, et il n’y a de remarquable que cette association. C’est dans la première partie, qui traite du droit et des droits du peuple, qu’il faut chercher les instincts puissans et décisifs qui ont excité l’auteur. M. de La Mennais, sans peut-être en avoir conscience, se rattache à l’hérésie primitive des millénaires, qui demandaient au christianisme le bonheur matériel et terrestre. Il détourne et applique la parole chrétienne au profit de la souveraineté et de la félicité du peuple. Il trace un tableau de l’avenir où le mal sera, sinon tout-à-