Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
200
REVUE DES DEUX MONDES.

j’aurais été chez une lingère, je n’y serais pas restée ; ainsi, que veux-tu ? voilà maintenant deux essais que je fais de recommencer ; rien ne me réussit.

« Je t’assure que ce n’est pas par folie que je veux mourir ; j’ai toute raison. Mes parens (que dieu leur pardonne !) sont encore revenus. Si tu savais ce qu’on veut faire de moi, c’est trop dégoûtant d’être un jouet de misère et de se voir tirailler ainsi. Quand nous nous sommes aimés autrefois, si nous avions eu plus d’économie, cela aurait mieux été. Mais tu voulais aller au spectacle et nous amuser. Nous avons passé de bonnes soirées à la Chaumière.

« Adieu, mon cher, pour la dernière fois, adieu. Si je me portais mieux, je serais rentrée au théâtre ; mais je n’ai plus que le souffle. Ne te fais jamais reproche de ma mort ; je sens bien que, si tu avais pu, rien de tout cela ne serait arrivé ; je le sentais, moi, et je n’osais pas le dire ; j’ai vu tout se préparer, mais je ne voulais pas te tourmenter.

« C’est par une triste nuit que je t’écris ; plus triste, sois-en sûr, que celle où tu es venu sonner et où tu m’as trouvée sortie. Je ne t’avais jamais cru jaloux ; quand j’ai su que tu étais en colère, cela m’a fait peine et plaisir. Pourquoi ne m’as-tu pas attendue d’autorité ? Tu aurais vu la mine que j’avais en rentrant de ma bonne fortune ; mais c’est égal ; tu m’aimais plus que tu ne le disais.

« Je voudrais finir, et je ne peux pas. Je m’attache à ce papier comme à un reste de vie ; je serre mes lignes ; je voudrais rassembler tout ce que j’ai de force et te l’envoyer. Non, tu n’as pas connu mon cœur. Tu m’as aimée parce que tu es bon, c’était par pitié que tu venais, et aussi un peu pour ton plaisir. Si j’avais été riche, tu ne m’aurais pas quittée, voilà ce que je me dis ; c’est la seule chose qui me donne du courage. Adieu.

« Puisse mon père ne pas se repentir du mal dont il a été cause ! Maintenant, je le sens, que ne donnerais-je pas pour savoir quelque chose, pour avoir un gagne-pain dans les mains ! Il est trop tard. Si quand on est enfant on pouvait voir sa vie dans un miroir, je ne finirais pas ainsi ; tu m’aimerais encore ; mais peut-être que non, puisque tu vas te marier.

« Comment as-tu pu m’écrire une lettre si dure ? Puisque ton père l’exigeait, et puisque tu allais partir, je ne croyais pas mal faire en essayant de prendre un autre amant. Jamais je n’ai rien éprouvé de pareil, et jamais je n’ai rien vu de si drôle que sa figure quand je lui ai déclaré que je retournais chez moi.