Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
REVUE DES DEUX MONDES.

— Peut-être, me répondit-elle, avez-vous raison à moitié. Ce n’est pas que je craigne l’orgueil de ma mère. Quoiqu’elle ait épousé deux princes, elle est de naissance bourgeoise, et n’a pas assez oublié son origine pour me faire un crime d’aimer un roturier. Mais l’influence du prince Grimani, une certaine faiblesse qui la fait céder presque toujours à l’opinion de ceux qui l’entourent, peut-être, en mettant les choses au pire, le besoin de se faire pardonner dans le monde où elle vit maintenant la médiocrité de sa naissance, l’empêcheraient de consentir facilement à notre mariage. Il n’y a alors qu’une chose à faire : c’est de nous marier d’abord, et de le lui déclarer ensuite. Quand notre union sera consacrée par l’église, ma mère ne pourra pas se tourner contre moi. Elle souffrira peut-être un peu, moins de ma désobéissance, dont sa nouvelle famille la rendra pourtant responsable, que de ce qu’elle prendra pour un manque de confiance ; mais elle s’apaisera bien vite, soyez-en sûr, et, par amour pour moi, vous tendra les bras comme à son fils.

— Merci de vos offres généreuses, chère signora ; mais j’ai mon honneur à garder, aussi bien que le plus fier patricien. Si je vous épousais sans le consentement de vos parens, après vous avoir enlevée, on ne manquerait pas de m’accuser des projets les plus bas et les plus lâches. Et votre mère ! si, après notre mariage, elle vous refusait son pardon, ce serait sur moi qu’elle ferait tomber toute son indignation.

— Ainsi, pour m’épouser, reprit la signora, vous voudriez avoir au moins le consentement de ma mère ?

— Oui, signora.

— Et si vous étiez sûr de l’obtenir, vous n’hésiteriez plus ?

— Hélas ! pourquoi me tenter ? Que puis-je vous répondre, étant certain du contraire ?

— Alors…

Elle s’arrêta tout d’un coup incertaine, et pencha sa tête sur son sein. Quand elle la releva, elle était un peu pâle, et deux larmes brillaient dans ses yeux. J’allais lui en demander la cause ; mais elle ne m’en laissa pas le temps.

— Lila, dit-elle d’un ton impérieux, éloigne-toi.

La suivante obéit à regret, et alla se placer assez loin de nous pour ne pas nous entendre, mais encore assez près pour nous voir. Sa maîtresse attendit qu’elle se fût éloignée pour rompre le silence. Alors elle me prit gravement la main, et commença :

— Je vais vous dire une chose que je n’ai jamais dite à personne, et que je m’étais bien promis de ne jamais dire. Il s’agit de ma mère,