Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
LA DERNIÈRE ALDINI.

objet de toute ma vénération et de tout mon amour. Jugez de ce qu’il m’en coûte pour réveiller un souvenir qui pourrait, devant d’autres yeux que les miens, ternir sa pureté et sa bonne renommée ; mais je sais que vous êtes bon, et que je puis vous parler comme je parlerais à Dieu, sans craindre de vous voir supposer le mal.

Elle se tut un instant pour rassembler ses souvenirs, et reprit :

— Je me rappelle que dans mon enfance j’étais très fière de ma noblesse. C’étaient, je crois, les flatteries obséquieuses des gens de notre maison qui m’avaient inspiré de si bonne heure ce sentiment, et m’avaient portée à mépriser tout ce qui n’était pas noble comme moi. Parmi tous les serviteurs de ma mère, un seul ne ressemblait point aux autres, et avait su garder dans son humble position toute la dignité qui sied à un homme. Aussi me paraissait-il insolent, et peu s’en fallait que je ne le haïsse. Toujours est-il que je le craignais, surtout depuis un jour que je l’avais vu me regarder d’un air très sérieux pendant que je piquais au cœur avec une grande épingle noire mes plus belles poupées.

Une nuit, je fus réveillée dans la chambre de ma mère, où mon berceau se trouvait placé, par la voix d’un homme. Cette voix parlait à ma mère avec une gravité presque sévère, et celle-ci lui répondait d’un ton douloureusement timide et comme suppliant. Étonnée, je crus d’abord que c’était le confesseur de maman ; et comme il semblait la gronder, selon sa coutume, je me mis à écouter de toutes mes oreilles, sans faire aucun bruit ni laisser soupçonner que je ne dormisse plus. On ne se méfiait pas de moi. On parlait librement. Mais quel entretien inoui ! Ma mère disait : Si tu m’aimais, tu m’épouserais, et l’homme refusait de l’épouser ! Puis ma mère pleurait, et l’homme aussi ; et j’entendais… ah ! Lélio, il faut que j’aie bien de l’estime pour vous, puisque je vous raconte cela, j’entendais le bruit de leurs baisers. Il me semblait connaître cette voix d’homme, mais je ne pouvais en croire le témoignage de mes oreilles. J’avais bien envie de regarder, mais je n’osais pas faire un mouvement, parce que je sentais que je faisais une chose honteuse en écoutant, et comme j’avais déjà quelques sentimens élevés, je faisais même des efforts pour ne pas entendre. Mais j’entendais malgré moi. Enfin, l’homme dit à ma mère : Adieu ! je te quitte pour toujours, ne me refuse pas une tresse de tes beaux cheveux blonds. Et ma mère répondit : Coupe-la toi-même.

Le soin que ma mère prenait de mes cheveux m’avait habituée à considérer la chevelure d’une femme comme une chose très précieuse,