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DE LA CHEVALERIE.

pour les anciens, la vertu consistait surtout dans les rapports de l’individu à la société, du citoyen à la patrie. Mais cette moralité qui a son principe et son but en elle-même, à laquelle l’individu suffit, ce sentiment de dignité personnelle qui lui fait avant tout un besoin de son propre respect et ensuite lui rend nécessaire le respect des autres hommes, l’estime de ses pairs ; ce sentiment fut assez étranger à l’antiquité.

Le point d’honneur, qui est le raffinement de l’honneur, appartient encore plus exclusivement aux temps modernes, a encore plus évidemment sa source dans les habitudes de la chevalerie. En effet, qu’est-ce que le point d’honneur ? C’est cette susceptibilité ombrageuse qui éloigne non-seulement une lâcheté, une honte, mais l’idée de la plus légère hésitation en matière d’honneur et de courage ; qui repousse non-seulement l’outrage, mais l’ombre d’une insulte ; qui protége avec le soin le plus jaloux la bonne renommée ; que représente enfin si bien un emblème qui est devenu un lieu commun, l’écu sans tache. Les héros des romans de chevalerie sont tout-à-fait en règle sous ce rapport ; il en résulte même une perfection quelquefois un peu monotone et fatigante ; les héros de l’antiquité ne sont pas ainsi. Dans l’Iliade, Hector fait trois fois le tour des murs de Troie en fuyant devant Achille, et n’en a pas l’air trop embarrassé. Comme l’a dit Rousseau dans sa lettre sur le duel : « Caton proposa-t-il un duel à César après tant d’affronts réciproques, ou Pompée à César ? Le plus grand capitaine de la Grèce fut-il déshonoré pour avoir été menacé d’un bâton ? » Cette susceptibilité plus inquiète des modernes, ce soin plus jaloux de l’honneur remonte par son origine aux sentimens chevaleresques.

Je vais citer quelques faits qui montreront ces sentimens en action avec une exaltation quelquefois bizarre, souvent piquante à force d’être prononcée. Le tournoi, la joute, le pas d’armes, furent de brillantes manifestations de l’esprit chevaleresque. Je n’entrerai pas dans les détails de la législation des tournois, je ne raconterai pas minutieusement tout ce qui s’y passait ; mais je veux mettre en relief quelques traits empruntés à des récits de tournois et de pas d’armes d’une époque peu ancienne, pour faire voir combien cette portion des mœurs chevaleresques a subsisté long-temps.

Dans la première moitié du XVe siècle, en 1434, un chevalier espagnol, nommé Suerro de Quinones, se posta sur la grande route qui menait à Saint-Jacques de Compostelle, et déclara qu’il romprait des lances avec tous ceux qui passeraient par ce chemin ; il fit vœu d’en