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pêcha pas de continuer sa route, ne manquant jamais, dans son bizarre costume, d’aller entendre la messe pour sanctifier la journée ; il brisa trois cent sept lances et termina glorieusement son aventure.

Un autre récit moins strictement historique, mais qui peint bien l’exaltation des sentimens chevaleresques, c’est l’histoire du vœu du héron, racontée par Froissart, et mise en vers par un poète du xive siècle. Le roi Édouard III est à table, entouré de ses chevaliers ; Robert d’Artois, qui a trahi la France, va tuer un héron à la chasse. Le héron passait, au moyen-âge, pour le plus lâche des oiseaux. Il l’apporte dans la salle du festin royal, le présente à chacun des convives en le sommant de faire un vœu, de promettre qu’il accomplira quelque entreprise. Édouard, le premier, fait vœu d’entrer en France, et d’être roi à Saint-Denis avant six ans. Le comte de Salisbury, qui était auprès de sa dame, la prie de vouloir bien de sa belle main lui clore un œil ; la demande est octroyée, et le comte s’engage à ne plus ouvrir cet œil qu’il ne soit venu en France et n’y ait brûlé un certain nombre de villes. Chaque chevalier cherche à surpasser les autres par l’audace et la difficulté des entreprises qu’il fait vœu d’exécuter. Alors la reine, ayant demandé au roi la permission de faire aussi son vœu, et l’ayant obtenu, déclare qu’elle ne mettra au monde le fils qu’elle porte dans son sein que quand elle sera sur la terre de France ; elle ajoute que, s’il voulait naître plus tôt, elle le détruirait à coups de couteau, et perdrait ainsi son ame. Ce dernier trait fait voir que de degré en degré l’exaltation chevaleresque pouvait aller jusqu’à la férocité.

Ce qui achève de caractériser les mœurs chevaleresques, c’est l’empire qu’on leur voit exercer sur toutes les classes de la société.

Dans les villes où le commerce était opulent et avait créé une bourgeoisie puissante, comme à Valenciennes, les bourgeois exécutaient des joutes à l’imitation des jeux chevaleresques ; ces joutes avaient le nom particulier de toupinures. Des ordres purement religieux eurent les armoiries qui allaient assez mal avec l’humilité de leur état. Il y eut des chevaliers de Saint-Jean, de Saint-Pierre, et même des chevaliers de la Sainte-Inquisition. Quand les légistes vinrent opposer l’empire du droit romain à la féodalité, la grande considération dont ils furent investis, surtout dans certains pays, comme à Bologne, leur fit attribuer le titre de chevaliers, ce qui introduisit la chevalerie dans la jurisprudence ; il y eut des chevaliers-jurisconsultes, miles juris. Les femmes même, qui étaient les idoles de la chevalerie, ne se conten-