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DE LA CHEVALERIE.

tèrent pas de l’inspirer, elles voulurent aussi en partager l’honneur. Ainsi, les chanoinesses de Sainte-Gertrude, en Brabant, après le noviciat, étaient faites equitissæ, chevalières ; on leur donnait la colée. Élisabeth, en montant sur le trône, voulut recevoir la chevalerie à son couronnement. L’empreinte des mœurs chevaleresques se montre dans les noms des jeux les plus usuels. Ainsi, le nom de dames fut donné à un jeu qui auparavant en portait un autre (tesseræ). Les échecs n’avaient pas, en Orient, le personnage de la dame ; c’était le visir qui était placé à côté du roi. Le génie de la galanterie occidentale fit une dame de la pièce qui a la marche la plus libre et décide la partie. Les cartes, inventées aussi en Orient, probablement en Chine, ne portaient pas d’abord les figures qu’elles portèrent en Europe à la fin du xive siècle ; le choix des personnages montre bien le mélange des idées chevaleresques avec les idées bibliques et classiques, mélange qui régnait à cette époque dans les esprits. En regard de David est Charlemagne, Hector à côté de Lancelot. Un jeu de cartes est une image, que sa confusion même rend assez fidèle, de l’état de l’imagination à la fin du moyen-âge.

Enfin, dans la langue même, il est resté une foule de locutions empruntées aux usages et aux mœurs de la chevalerie. Avant d’être de vagues formules de galanterie, elles eurent un sens positif, elles exprimèrent des coutumes réelles. Ainsi, cette expression : porter les fers d’une dame, provient de l’usage où l’on était de porter une chaîne au bras jusqu’à l’achèvement d’une aventure entreprise pour mériter l’amour d’une dame ; porter sa chaîne, ses fers, ce n’était donc pas une figure, c’était une réalité qui tenait à l’emploi symbolique du lien. Or, au moyen-âge, on portait un lien dans beaucoup de circonstances : les débiteurs, en signe de leurs dettes ; les pénitens, en signe de leur pénitence. Délier d’un serment a la même origine. Ces exemples prouvent à quel point, la chevalerie avait pénétré dans les mœurs et dans ce qui peint le plus naïvement les mœurs, dans le langage.

Il reste, pour terminer cette esquisse des mœurs chevaleresques, à indiquer ce qu’elles sont devenues depuis le moyen-âge jusqu’à nos jours. Déjà au xive siècle elles s’altéraient considérablement ; on le voit dans Froissart. Froissart voudrait bien qu’il n’y eût que de la chevalerie dans le monde ; mais il est trop clairvoyant pour ne pas s’apercevoir qu’il y a autre chose, et trop naïf pour ne pas le laisser voir. Il montre perpétuellement, en contraste des perfidies atroces et des exemples plus rares d’une loyauté exaltée, des libéralités prodigues et des cupidités effrénées, des passions d’une brutalité grossière et des sentimens