Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/342

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
338
REVUE DES DEUX MONDES.

Si c’est le contraire qui est vrai, je dois ici justifier d’abord le titre de ce poème. Dans un temps où les sujets tirés de l’antiquité sont livrés à un discrédit presque universel, comment oser représenter à des lecteurs sensés les dieux usés de l’Olympe ? N’est-ce pas se condamner soi-même, et par plaisir, à un juste abandon ? Je pourrais dire à cet égard que la connaissance des sociétés anciennes ayant été transformée par diverses découvertes, ou par des interprétations plus profondes, c’est, en quelque sorte, une antiquité nouvelle qui s’offre à l’imagination des hommes de nos jours. Le passé s’agrandit sans mesure. Toutes les histoires sont refaites ; tous les siècles sont étudiés ou restaurés. Pendant ce temps-là, faut-il que la poésie, obéissant seule à un instinct contraire, circonscrive de plus en plus son objet ? La figure de l’humanité, qui se complète et s’accroît chaque jour dans l’histoire, ne doit-elle se montrer dans l’art que par fragmens ? Supposez que nous nous fermions l’école de l’antiquité au moment même où nous aurions peut-être le plus besoin d’y puiser quelque règle certaine, la même interdiction menace de bien près les souvenirs du moyen-âge. Après le moyen-âge, j’ai vu le xviie siècle et le xviiie répudiés l’un après l’un par des raisons semblables. Dans cette voie, où s’arrêter ? D’exclusion en exclusion, nos sympathies se trouveraient bientôt bornées à l’heure présente ; et sans aliment, sans espace pour se développer, obligé de se consumer sur d’imperceptibles objets, l’art ne manquerait pas de s’éteindre et de périr dans le vide. C’est la voie opposée, que toutes les inductions nous conseillent de suivre. Placé comme au dénouement des traditions universelles, lié par des rapports connus avec tous les temps de l’histoire, l’homme de nos jours tient, pour ainsi dire, dans sa main, la trame entière du passé ; au lieu de se diminuer volontairement et de se renfermer dans un passé d’un jour, il faut donc travailler à s’étendre et à s’accroître avec la tradition. Les temps ne sont plus divisés par des autels intolérans. L’unité de la civilisation est devenue un des dogmes du monde. Un seul Dieu, présent dans chaque moment de l’histoire, rassemble en une même famille les peuples frères que des années rapides séparent seulement les uns des autres : ceci établi, n’est-ce pas le temps de répéter avec plus de foi que jamais le mot du théâtre romain :

Je suis homme ; rien d’humain ne me semble étranger.

Cette raison est générale ; il en est une autre particulière au sujet de ce poème. S’il est, en effet, permis aux modernes de traiter des