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les habitans des côtes voisines. Malheur à la barque qui, par un jour de tempête, a trop tardé à regagner le port ! Elle doit infailliblement se briser contre quelqu’un de ces nombreux îlots, aux côtes basses et rocailleuses, dont ces détroits sont hérissés, et contre lesquels le roost la pousse avec rage.

À côté de ces mers toujours agitées, la terre offre un singulier contraste : avec quelque fureur que s’y déchaînent les vents du nord et de l’ouest, tout y est calme et comme mort. Sur ces grèves nues et sur ces plaines arides, le vent n’a de prise sur aucun objet. Pas un arbre, pas une broussaille, pas une seule plante, dont la tige s’élève de plusieurs pieds au-dessus du sol, ne croît et ne se balance à la surface de ces terres dépouillées. Un jonc court et des roseaux nains couvrent le fond des vallées humides, un gazon ras ou une mousse spongieuse tapissent toutes les collines, et revêtent d’un éclatant manteau de verdure le terreau noirâtre et le sol tourbeux des plaines. Une avoine maigre et une orge chétive sont les seules plantes céréales qu’on cultive dans les îles Shetland ; encore ne croissent-elles qu’à grand’peine dans le voisinage des hameaux, dans les parties du pays les mieux abritées, et qui forment à peine le trentième des terres cultivables.

Il y a peu d’années, les habitans de ces îles n’avaient pas l’idée de ce que pouvait être un arbre. Quand on leur disait que, dans des contrées plus méridionales ou mieux abritées, de grands végétaux, chargés de branches et de feuilles, s’élevaient quelquefois à plus de cent pieds de hauteur, et vivaient plus long-temps que les hommes, ils hochaient la tête avec un sourire d’incrédulité, et semblaient vous dire : À quoi bon nous faire ces contes ? nous pensez-vous assez simples pour les croire ? Un habitant de la Guinée ou du Congo auquel on aurait raconté qu’au-delà des mers, chez les hommes blancs, l’eau durcie par le froid se fendait avec la hache ou s’écrasait en poussière sous le marteau, n’eût été ni plus étonné, ni plus incrédule. — Nous croirons à vos arbres quand nous en verrons pousser dans Mainland, disaient les Shetlandais aux étrangers qui insistaient. Aujourd’hui des arbres poussent dans Mainland, et c’est à peine s’ils sont convaincus ; les plus opiniâtres crient au sortilége. Un laird, habitant de la partie de Mainland qu’on appelle Busta, eut, en effet, dans ces derniers temps, l’idée de rapporter d’Écosse, où il avait fait plusieurs voyages, quelques arbres qu’il a plantés dans son jardin ; comme il eut soin en même temps d’entourer ce jardin de murailles élevées, ces arbres, abrités des vents de mer, ont crû rapide-