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tion, incapable qu’il était alors de la faire cesser. Il eût fallu, pour y mettre fin, s’emparer de l’oppresseur de ces îles ; il eût fallu équiper une flotte, lever une armée, et faire en règle le siége du château de Scalloway, qui passait pour imprenable. Patrick Stuart, qui savait combien il était en horreur aux habitans des îles, ne sortait jamais qu’accompagné d’une troupe de satellites bien armés ; c’étaient des aventuriers de Norwége, d’Irlande ou d’Écosse, qu’il enrichissait de ses rapines, et qu’il regardait plutôt comme ses compagnons de débauches et d’aventures que comme ses soldats.

Lerwich, la capitale des îles Shetland, cette petite ville qui, de nos jours, renferme à peu près deux mille habitans, n’en comptait, du temps de Patrick, que quelques centaines. Lerwich, depuis nombre d’années, est fréquentée par les flottilles des vaisseaux pêcheurs de toutes les nations qui relâchent dans son port, soit au commencement de l’été, lorsque l’immense armée des harengs fait invasion dans ces parages de l’Océan, soit à l’automne, lors de la pêche du cabillaud et de la morue. Du temps de Patrick Stuart comme aujourd’hui, Lerwich était donc le port et le marché du pays. C’était là qu’à certains jours se rendaient les pêcheurs et les paysans de ces îles pour acheter des provisions ou pour vendre celles qu’ils avaient faites. Lerwich n’est distante que de quelques milles du château de Scalloway ; aussi Patrick y faisait-il de fréquentes incursions, soit qu’un jour de marché il voulût approvisionner à peu de frais sa maison en enlevant arbitrairement les denrées que les pauvres gens apportaient de la campagne ou des îles voisines, soit qu’il résolût de frapper la misérable ville de taxes onéreuses. Dans ces occasions, quand les insulaires avaient connaissance des projets du pillard, ils cachaient leurs provisions et leurs marchandises et s’enfuyaient. Mais Patrick arrivait souvent d’une manière si brusque, qu’il leur laissait à peine le temps de fuir sans rien cacher. Les habitans de l’île qui se rendaient au marché posaient donc aux environs de la ville, sur un roc ou sur quelque éminence qui dominait la campagne, des sentinelles qui devaient les prévenir de l’arrivée du comte et leur donner le temps de vider la place.

L’hiver de 1614 venait de finir ; aux longues nuits de ce pays, à ces nuits de vingt heures que suit un jour triste, éclairé par un pâle et froid soleil dont le disque s’élève à peine de quelques pieds au-dessus de l’horizon brumeux, succédaient des nuits plus courtes et des jours plus gais ; les neiges fondaient sur les collines, et la pointe du gazon des pelouses exposées au midi commençait à verdir. Les oiseaux re-