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LES ÎLES SHETLAND.

venaient par bandes du midi et de l’orient ; le froid, qui n’est jamais aussi rigoureux dans ces îles que dans d’autres pays placés sous la même latitude, n’arrêtait plus le cours des ruisseaux et n’encombrait plus de glaces les ports de Mainland. Les campagnes étaient redevenues praticables ; on pouvait se rendre du hameau à la ville la plus proche sans courir le risque de se perdre dans les neiges ou de s’enterrer dans des fondrières. Les habitans recommençaient à se visiter, et comme leurs provisions d’hiver étaient épuisées, ils se rendaient de tous les points de l’île et de toutes les îles voisines à Lerwich, où ils comptaient en acheter de nouvelles. Ces marchés qui suivent l’hiver sont toujours les mieux fournis et les plus fréquentés. Cette année-là le premier marché de Lerwich s’était passé sans mésaventure ; le second marché venait de s’ouvrir, et les paysans, un peu enhardis, s’y étaient rendus en grand nombre. Tout à coup un homme monté sur un de ces shelties noirs aux poils crépus et longs comme la toison des brebis, arrive au galop au milieu de la place, où se pressaient en foule fermiers, paysans et pêcheurs. Les uns chassaient devant eux des oies, des poules, des chèvres, des moutons ou de petits bœufs noirs appelés kyos, qui ont un air de famille avec les shelties, qui sont velus et laineux comme eux, qui comme eux ont l’œil espiègle et fier, et le caractère indomptable. Les autres conduisaient leurs barques chargées de saumons, de raies, de harengs, et d’oies sauvages fumées. — Pate Stuart ! Pate Stuart ! — s’écrie le cavalier d’une voix tonnante, et il disparaît par le chemin opposé à celui par lequel il est venu. En un instant la place se vide. Les pêcheurs sautent à bord de leurs barques, déploient leurs voiles ou s’éloignent du rivage à force de rames, les paysans et les fermiers suivent en désordre le chemin par lequel l’inconnu vient de s’éloigner, les marchands qui ne peuvent fuir jettent confusément leurs denrées dans les maisons les plus voisines et en ferment brusquement les portes ; mais avant que la place soit tout-à-fait déserte et le marché nettoyé, Patrick y est arrivé au galop. Il monte, lui, un beau cheval qu’à sa grande taille et à sa robe blanche on reconnaît pour être originaire de Norwége. Les gens de sa suite l’accompagnent sur toutes sortes de montures : chevaux d’Angleterre, chevaux d’Écosse et shelties. Patrick est couvert de fer de la tête aux pieds. Il s’arrête au milieu de la place et promène un regard de colère et de dédain sur la scène de confusion dont il est cause, sur ces barques qui mettent à la voile, sur ces rustres qui fuient, sur ces marchands qui n’ont pu emporter leurs denrées, et qui attendent, humbles et glacés d’effroi.