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RÉPONSE À GEORGE SAND.

libre interprétation de son évangile démocratique. » Je n’avais pas besoin de cet aveu, madame, pour connaître les inclinations et les perplexités de votre génie : la lecture de vos livres m’avait assez fait voir vos doutes pathétiques et vos indécisions éloquentes. Oui, en ce moment vous êtes tourmentée, parce que vous ne vous entendez pas avec vous-même sur quelques principes élémentaires et souverains dans la recherche de la vérité.

Le christianisme et le panthéisme ne sont pas deux formes qu’on puisse concilier, car ce sont deux puissances ennemies qui se disputent le monde. Si vous vous consumiez dans de stériles efforts pour les unir, vous n’y réussiriez pas plus que Novalis et Schelling ; vous compromettriez dans ce laborieux paralogisme la sécurité de votre esprit et la grandeur de votre œuvre. Il faut choisir.

Et ne perdez pas de vue, madame, quand vous examinerez ces questions, que s’il y a plusieurs christianismes, c’est-à-dire plusieurs manières d’entendre le sens de la tradition chrétienne, il y a aussi plusieurs panthéismes, plusieurs façons d’arriver à la conception idéale du monde et de Dieu. Que je voudrais vous voir devant à de mûres réflexions la conquête de quelques convictions inébranlables, ne plus aventurer sur de grands problèmes de brillantes inconséquences, mais, maîtresse de vous-même, donner aux splendeurs de votre imagination une pensée une et forte à revêtir. Le temple est magnifique, mais quel en sera le Dieu ?

Le temps est venu pour vous de donner à vos opinions philosophiques plus de consistance et d’étendue, car vous entrez dans une nouvelle phase de la vie et du talent. L’inspiration et la fantaisie vous ont élevée à une hauteur où elles ne suffiraient pas à vous maintenir. Puisez maintenant, madame, de nouvelles forces dans la réflexion et la science. Vous avez fait briller votre nom comme une radieuse étoile au-dessus de nos têtes, ne descendez pas de l’horizon, fixez-y votre gloire et sachez durer en grandissant encore. Approfondissez de plus en plus le rôle social auquel vous êtes appelée ; sauvez-vous de l’imprudence de traiter lestement les idées et de méconnaître la cause philosophique que votre honneur est de servir. À notre époque, l’imagination et la poésie ne peuvent trouver d’éclat durable que dans leur union avec le bon sens et la science. Croyez-vous que l’auteur de Werther ait dégradé les magiques richesses que lui avait prodiguées la Muse, en y mêlant les profondeurs d’une haute raison ? Puisque comme Goëthe, à qui nous devons la Métamarphose