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des plantes, vous avez étudié la nature, que tardez-vous à le suivre dans le culte réfléchi de l’histoire et de l’idéalisme ?

Si déjà vous aviez pris ce parti, d’où peut dépendre l’avenir de votre pensée, vous ne demanderiez pas aujourd’hui, madame, s’il y a une philosophie moderne. Depuis que les sociétés humaines se développent sur la terre, il y a toujours eu pour elles deux ordres de choses fort différens, d’une part les lois et les institutions positives, de l’autre les idées et les théories. À travers des formes inégales et diverses, ces deux réalités coexistent à tous les momens de l’histoire, dans des rapports inégaux, tantôt violens, tantôt pacifiques. Là où vous voyez une tradition religieuse en possession paisible ou contestée de l’empire des faits, tenez pour constant qu’il y a derrière elle une tradition philosophique qui sait à la fois soutenir la religion et l’outrepasser. N’avez-vous jamais songé que la philosophie grecque, tant celle de la grande Grèce, que celle d’Athènes, et celle d’Alexandrie, avait une place considérable dans les causes historiques qui ont enfanté le christianisme, et qu’elle forme comme une longue chaîne d’idées, dont le commencement se rattache à la sagesse des Hindous pour aboutir à l’évangile du Christ ? Eh bien ! madame, à côté de la tradition philosophique de l’antiquité, le travail de l’esprit humain a mis la tradition d’une philosophie moderne qui a commencé à se développer aussitôt que la théologie chrétienne eut achevé la rédaction définitive des dogmes et des formules de la religion. Nous retrouvons, vous le voyez, les deux réalités dont je vous parlais, et les destinées de l’humanité dépendent de la nature de leurs rapports.

Il y a, madame, une philosophie moderne par la même loi de développement qui a donné au genre humain le christianisme après le polythéisme. Ne tombez-vous pas d’accord avec moi qu’il vaut mieux, pour l’esprit, spéculer devant l’image du sacrifice consommé sur le Golgotha, qu’au milieu des mille simulacres qui traduisaient la pluralité des dieux ? Non que, pour moi, le christianisme soit toute la vérité ; mais comme il a sur le polythéisme une supériorité incontestable, ce progrès de la religion a permis à la pensée spéculative de porter plus loin qu’elle n’avait fait encore ses théories et ses applications. Sans doute ce n’est pas volontairement que l’église a laissé triompher l’esprit philosophique ; mais après des luttes acharnées, elle a dû renoncer à prévaloir contre lui. La philosophie moderne a donc eu à la fois le christianisme pour point de départ, et l’église pour ad-