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L’ESPOIR EN DIEU.

Il existe, dit-on, une philosophie
Qui nous explique tout sans révélation,
Et qui peut nous guider à travers cette vie
Entre l’indifférence et la religion.
J’y consens. — Où sont-ils ces faiseurs de systèmes
Qui savent, sans la foi, trouver la vérité ?
Sophistes impuissans qui ne croient qu’en eux-mêmes,
Quels sont leurs argumens et leur autorité ?
L’un me montre ici-bas deux principes en guerre
Qui, vaincus tour à tour, sont tous deux immortels[1] ;
L’autre découvre au loin, dans le ciel solitaire,
Un inutile dieu qui ne veut pas d’autels[2].
Je vois rêver Platon et penser Aristote ;
J’écoute, j’applaudis, et poursuis mon chemin.
Sous les rois absolus je trouve un dieu despote ;
On nous parle aujourd’hui d’un dieu républicain.
Pythagore et Leibnitz transfigurent mon être.
Descartes m’abandonne au sein des tourbillons.
Montaigne s’examine, et ne peut se connaître ;
Pascal fuit en tremblant ses propres visions.
Pyrrhon me rend aveugle, et Zénon insensible ;
Voltaire jette à bas tout ce qu’il voit debout.
Spinosa, fatigué de tenter l’impossible,
Cherchant en vain son dieu, croit le trouver partout.
Pour le sophiste anglais l’homme est une machine[3].
Enfin sort des brouillards un rhéteur allemand[4]
Qui, du philosophisme achevant la ruine,
Déclare le ciel vide, et conclut au néant.

Voilà donc les débris de l’humaine science !
Et depuis cinq mille ans qu’on a toujours douté,
Après tant de fatigue et de persévérance,
C’est là le dernier mot qui nous en est resté !
Ah ! pauvres insensés, misérables cervelles,
Qui de tant de façons avez tout expliqué,
Pour aller jusqu’aux cieux il vous fallait des ailes ;

  1. Système des Manichéens.
  2. Le théisme.
  3. Locke.
  4. Kant.