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Et quand leur joie arrive, ils en ont trop souffert.
Je suis seulement homme, et ne veux pas moins être,
Ni tenter davantage. — À quoi donc m’arrêter ?
Puisque je ne puis croire aux promesses du prêtre,
Est-ce l’indifférent que je vais consulter ?

Si mon cœur, fatigué du rêve qui l’obsède,
À la réalité revient pour s’assouvir,
Au fond des vains plaisirs que j’appelle à mon aide
Je trouve un tel dégoût que je me sens mourir.
Aux jours même où parfois la pensée est impie,
Où l’on voudrait nier pour cesser de douter,
Quand je posséderais tout ce qu’en cette vie
Dans ses vastes désirs l’homme peut convoiter ;
Donnez-moi le pouvoir, la santé, la richesse,
L’amour même, l’amour, le seul bien d’ici-bas !
Que la blonde Astarté qu’idolâtrait la Grèce
De ses îles d’azur sorte en m’ouvrant les bras ;
Quand je pourrais saisir dans le sein de la terre
Les secrets élémens de sa fécondité,
Transformer à mon gré la vivace matière,
Et créer pour moi seul une unique beauté ;
Quand Horace, Lucrèce, et le vieil Épicure,
Assis à mes côtés, m’appelleraient heureux,
Et quand ces grands amans de l’antique nature
Me chanteraient la joie et le mépris des dieux ;
Je leur dirais à tous : — Quoi que nous puissions faire,
Je souffre, il est trop tard ; le monde s’est fait vieux.
Une immense espérance a traversé la terre ;
Malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux !

Que me reste-t-il donc ? Ma raison révoltée
Essaie en vain de croire, et mon cœur de douter.
Le chrétien m’épouvante, et ce que dit l’athée,
En dépit de mes sens, je ne puis l’écouter.
Les vrais religieux me trouveront impie,
Et les indifférens me croiront insensé.
À qui m’adresserai-je, et quelle voix amie
Consolera ce cœur que le doute a blessé ?