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HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.

à-dire la suppression de toute distinction sociale, mais égalité en ce sens que, devant le pouvoir royal, tout pouvoir indépendant s’abolit et va se perdre dans la masse disciplinée des forces communes ; en ce sens que, en dehors et au-dessous du droit souverain de la royauté, il n’y a plus que le droit de tous, et que tout se nivelle selon le caprice ou l’intelligence de sa faveur. Après le roi, nul n’est puissant politiquement par soi-même, par la vertu de son droit. Toute puissance vient de lui, et sa puissance à lui n’est que celle de tous, n’est que la somme de toutes les forces nationales qui viennent s’accumuler et se lier dans sa main. La France, ce corps naguère morcelé entre plusieurs volontés et tiraillé par autant d’impulsions divergentes, la France a conquis son unité et s’est élevée entre les nations à la dignité d’une personne, et le symbole de son unité c’est son roi. La royauté qui vient d’abolir dans les autres et d’absorber en elle tous les pouvoirs qui divisaient la France, est pour celle-ci la condition nécessaire et la garantie de son unité. L’unité de la France est pour la royauté la condition nécessaire et la garantie de sa prépondérance souveraine. Il y a donc dès ce moment, entre l’existence de ces deux choses, la nation et son roi, jusqu’à ce que le progrès des temps change la nature de leurs rapports, une union on ne peut plus étroite, une solidarité complète ; ou plutôt il n’y a là qu’une seule chose, qu’un seul corps et qu’une seule ame. Alors Louis XIV peut dire avec justesse : L’état, c’est moi ; car l’état, c’est le faisceau de toutes les activités politiques ou autres de la nation, et ce faisceau, du moment où il se forme, devient justement ce qui s’appelle la royauté. La royauté n’existe que par cette fonction et à ce titre. Cette parole, que l’on a blâmée comme l’expression d’un orgueil démesuré, n’est donc que l’expression exacte, précise et intelligente, d’un fait qui s’était constitué dès l’instant où toutes les forces nationales, éparpillées entre une multitude de souverainetés secondaires, s’étaient concentrées dans une seule main, qui en disposait désormais sans concurrence. Si elle constatait une usurpation insolente, évidemment cette usurpation ne frappait que sur la noblesse féodale, qui, elle aussi, avait pu dire : L’état, c’est moi, et non sur le peuple, qui gagnait à ce nouvel état des choses, au lieu d’y perdre. Le peuple, d’ailleurs, était compris dans ce moi royal, puisque, comme nous l’avons vu, il désignait un faisceau, et que c’était là ce qui lui donnait son poids et sa dignité. C’est là aussi précisément ce dont Louis XIV était si fier.

Mais s’il sentait vivement les satisfactions de vanité attachées aux prérogatives de sa position, il n’en comprenait pas moins les devoirs, et, sur les points capitaux et décisifs, il ne s’isolait pas plus de l’état lorsqu’il fallait en servir les intérêts ou la gloire que lorsqu’il s’agissait d’accroître l’importance et la dignité de sa personne royale. Dès sa jeunesse, la raison politique domine dans son ame et étouffe ou modifie tous ses penchans. Ainsi, pour citer des cas particuliers, seul genre de démonstration dont M. Eugène Sue reconnaisse l’autorité ; ainsi, malgré ses antipathies d’homme et de roi pour le régicide Cromwell, il s’allie avec lui et paie même cette alliance de l’expul-