Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/508

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
504
REVUE DES DEUX MONDES.

sion de la famille de Charles Ier, pour qui la France avait été un asile. Ainsi, en dépit de Mazarin, son mariage avec Marguerite de Savoie, assez avancé pour que les deux contractans eussent été au-devant l’un de l’autre et se fussent charmés mutuellement au point que Marie de Mancini en conçut une jalousie emportée, ce mariage est rompu brusquement et sacrifié à une alliance avec l’Espagne. Ainsi, roi de France et fils aîné de l’église, deux titres dont il porte si haut le culte inviolable, il donne, malgré ses ressentimens, le commandement de ses armées à deux grands généraux, Turenne et Condé, qui l’ont offensé par leurs infidélités envers cette double religion de son ame : l’un, long temps infidèle à la religion de l’église, tous les deux et tour à tour infidèles à la religion de la royauté et du drapeau de la France. Ainsi, tout roi très chrétien et roi dévot qu’il est, il rompt deux fois en visière au pape. Ainsi, il conserve des ministres qu’il n’aime pas et dont il n’est pas aimé ; et lorsqu’ils meurent, il va chercher leurs successeurs où il croit pouvoir le mieux les retrouver eux-mêmes, dans leurs fils.

Assurément, cela annonce des vues, des vues persévérantes et bien suivies. Assurément, il y a là un homme politique, un homme puissant sur lui-même comme sur les autres. Mais cette unité qui caractérise si hautement la période historique que remplit Louis XIV, ce n’est pas seulement dans la France intérieure qu’elle apparaît. Dans la politique extérieure, les faits ne s’enchaînent pas moins bien, et les grandes lignes n’en sont pas moins nettement dessinées. À cette époque, la France a dans l’empire et dans l’Espagne, les deux seules puissances continentales qui fussent en position de lui contester la prééminence en Europe, deux ennemies naturelles dont la jalousie attentait continuellement à son indépendance. Depuis Charles-Quint surtout, se donnant la main l’une à l’autre, elles avaient noué autour de la France une étroite ceinture de frontières hostiles, qui, s’étendant du golfe de Gascogne au golfe de Gênes, et du golfe de Gênes à la mer du Nord par la Savoie, la Franche-Comté, la Lorraine et les Pays-Bas, provinces soumises à leur autorité ou à leur influence, menaçait de l’étouffer en lui fermant le continent européen, ou de la forcer à se jeter tout entière dans l’Océan où elle n’avait pas encore de marine. Dans ces conjonctures, il y avait trois partis à tenter : ou lever le séquestre mis sur la France en forçant les lignes qui l’emprisonnaient, et en la rattachant au reste de l’Europe par des voies libres et plus assurées que jamais ; ou chercher, comme fit autrefois Athènes, son salut dans des murailles de bois, c’est-à-dire en faire une puissance toute maritime, ce à quoi elle ne prêtait guère ; ou bien enfin, et cela était plus complet et plus grand, la pousser vigoureusement et tout d’un coup vers ces deux issues, lui ouvrir à la fois la terre et l’eau. C’est le parti que prit Louis XIV. Assurément, pour amener les longues guerres qui en furent la suite, il n’était pas besoin que Louvois se piquât, tantôt de bien embarrasser Colbert, tantôt de forcer Louis XIV à laisser là la truelle. Le traité des Pyrénées indiquait assez quelles étaient les vues de Louis XIV, quelle serait