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mier échelon de la sorcellerie, les diables se moquent d’elle. L’homme de cour se fâche et menace. La vieille femme, ne pouvant plus compter sur le secours de son ami Belzébuth, s’avise d’un autre expédient. Elle prend avec elle un chien noir, laid et crotté, et entre en pleurant chez l’inflexible épouse du pèlerin. — Qu’avez-vous donc, ma bonne femme ? dit celle-ci. — Hélas madame, il m’est arrivé un grand malheur. Imaginez que j’avais une fille charmante, la plus belle, la plus tendre, la plus délicieuse jeune fille que l’on puisse voir. Un homme vient lui faire la cour ; elle refuse de l’écouter. Il persiste, elle est impitoyable ; et cet homme, pour se venger, l’a changée en chien. Voilà ma pauvre fille, ajouta-t-elle en se tournant vers le hideux animal qu’elle avait amené. — Oh ciel ! est-il possible ? s’écrie la jeune femme ; si l’on refuse d’écouter une proposition d’amour, court-on risque d’être ainsi changée en bête ? — N’en doutez pas, madame, c’est ce qui se voit tous les jours. — Et moi, malheureuse ! qui ai renvoyé si cruellement ce matin un homme de cour d’une grace et d’une amabilité parfaite ! — Faites-le revenir, je vous en conjure, dit la sorcière, on ne sait ce qui peut arriver. — L’homme de cour revient, la pièce est finie, et le spectateur doit s’en aller très édifié de cette nouvelle manière de séduire une femme.

La seconde pièce est le Jugement de Pâris. Ce n’est pas autre chose qu’un combat de coquetterie entre les trois déesses qui cherchent à gagner les suffrages de leurs juges. Junon lui promet le pouvoir, Minerve la sagesse, Vénus l’amour. Pâris, qui est jeune, ne se soucie ni du pouvoir ni de la sagesse ; il accepte l’amour, et Junon se retire en proférant des cris de vengeance.

La troisième pièce est la Vie et la Mort de sainte Dorothée. C’est un mystère calqué sur une pièce qu’on jouait, au xvie siècle, en France et en Allemagne.

Dans ces œuvres dramatiques, le bon maître d’école d’Odensée n’a pas un grand mérite d’invention ; mais il jette çà et là quelques traits de mœurs intéressans et quelques réflexions assez piquantes. Ses vers sont, du reste, généralement bien tournés, et son style indique un progrès dans le développement de la langue.

Tandis que Chrétien Hansen essayait de fonder l’art dramatique en Danemark, un auteur, dont nous ignorons le nom, traduisait des romans de chevalerie et des contes plaisans, l’histoire de Ruus, et l’histoire galante de Flores et Blantzeflor.

Ruus est une de ces satires amères que le moyen-âge lançait, de temps à autre, contre les moines, comme pour protester de son indépendance, au moment même où il agissait en disciple. L’auteur de Ruus raconte qu’un jour le désordre s’était mis dans un couvent. La désobéissance avait levé le front devant l’autel, le vice avait franchi la porte des cellules. Le diable, qui tenait depuis long-temps l’œil ouvert sur cette communauté, pensa qu’il y avait là une bonne récolte d’ames à faire, et que ce serait une honte à lui de la laisser échapper. Le voilà donc qui revêt la livrée, se donne