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prudens. Telles étaient les prévisions du général Rulhières, qui commandait à Kodiat-Aty ; mais le gouverneur-général, qui venait d’arriver sur les lieux avec M. le duc de Nemours, pensa qu’il fallait opposer la vigueur à la vigueur et épuiser d’un coup, en tranchant hardiment dans le vif, cette sève d’humeur aventureuse, qui, de la part de l’ennemi, faisait trop souvent explosion. Il ordonna donc que les compagnies en face desquelles se trouvaient blottis les Arabes, courussent sur eux en s’élançant par-dessus les parapets. Nos soldats, dès qu’ils se sentirent libres de suivre leur instinct, prirent l’essor et fondirent sur l’ennemi presque verticalement de haut en bas. Les Arabes, pour se soustraire à ce premier choc, se culbutèrent jusqu’au pied des gradins qu’ils avaient escaladés ; mais bientôt ils se retournèrent dans leur fuite, et, assurés de leur retraite, tranquilles dans un espace qui était tout à eux, ils surent nous rendre, en s’éloignant, le mal que nous avions pu leur faire en les joignant. Les balles les vengèrent des baïonnettes. Dans ces pentes qui s’abaissent comme par terrasses, le mouvement de la poursuite qui avait lieu des crêtes vers les parties inférieures, amenait les vainqueurs entièrement exposés et découverts à portée des fuyards, qui se dérobaient dans les parties basses du terrain. Ceux-ci, pendant que nos hommes hésitaient sur le bord des escarpemens, les visaient sans rien craindre, et choisissaient leurs victimes. Les épaulettes d’officiers servaient de points de mire. C’est à cette circonstance, qui se produisit dans cette expédition presque toutes les fois qu’on aborda sérieusement l’ennemi, c’est au fait de la sécurité relative dans laquelle se trouvèrent le plus souvent les Arabes attaqués, et de la liberté de choix qu’ils purent conserver, soit à l’abri de localités favorables, soit derrière les murailles de leur ville ou de leurs maisons, qu’il faut attribuer la proportion très remarquable des officiers mis hors de combat dans les différentes phases de cette campagne. Quelquefois un pareil résultat s’explique par la nécessité où ont été les chefs de montrer la route à leurs troupes étonnées, et de se jeter les premiers dans un péril pour le combler. Mais ici cette hypothèse serait fausse. On peut dire, à la louange des soldats, qu’ils ne se sont jamais laissé devancer par leurs officiers, et, à la louange des officiers, qu’ils ont toujours été aussi loin qu’aucun de leurs soldats. Les uns et les autres ont également mérité par leurs actes l’attention de l’ennemi, lequel l’a, de son plein gré, accordée plus particulièrement au grade. Ainsi, dans ce mouvement offensif pour repousser la sortie des assiégés, il y eut, sur dix-huit hommes tués ou blessés, un capitaine tué, et trois capitaines et deux autres officiers blessés, parmi lesquels un dut être amputé.

Quand la dispersion de l’ennemi laissa l’attention, un instant distraite, revenir aux moyens sérieux et efficaces pour triompher de la résistance, on résolut d’apporter des modifications importantes aux dispositions prises jusque-là par l’artillerie. Quoique la batterie de brèche n’eût pas encore été éprouvée, sa distance, d’environ 500 mètres de la muraille qu’elle devait battre, fit craindre qu’elle ne donnât pas des résultats assez complets. Afin de ne pas