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LES CÉSARS.

en demander la raison. Ce silence et cette réserve ne font que m’exciter davantage ; j’interroge Suetonius Tranquillus, cet imperturbable anecdotier ; il est curieux de tant de choses, de l’habit, du visage, des manies de tel César, du menu de ses repas, du mobilier de sa chambre ; il possède l’anneau de tel prince, un ancien diplôme de tel autre ; il a donné à Adrien une vieille et petite statue en bronze d’Auguste avec des lettres de fer à moitié détruites, et Adrien, digne d’un tel présent, a bâti une chapelle pour cette statue. Quel curieux cabinet dut avoir cet homme ! Fouilleur infatigable du passé, déchiffreur d’inscriptions, liseur de vieux papyrus, que lui fait le bien ou le mal dans l’histoire, la cruauté de Tibère ou la bonté de Titus ? Il laisse la moralité aux rhéteurs ; il est érudit : le seul homme contre lequel il se fâche un peu est Caligula ; il se permet de l’appeler monstre. — Tel n’est pas Tacite, honnête homme au fond de l’ame ; homme toujours intimement vrai, même lorsque, à la façon de Tite-Live et des anciens, il rend l’histoire emphatique ; homme qui sent et qui enseigne dix fois plus qu’il ne dit, qui ne fait pas un petit extrait du Moniteur de son temps sans y trahir un sentiment profond de son époque, chez lequel chaque phrase instruit, chaque mot a son sens et son vouloir : terrain que je fouille et remue, y trouvant toujours quelque chose, n’y trouvant jamais assez sur cette incompréhensible époque !

En avançant dans ma tâche, je vois bien d’autres trésors devant moi : les deux Plines, — le naturaliste, cet immense et indigeste collecteur de faits ; — l’épistolier, qui a fabriqué sa correspondance académique exprès, ce me semble, pour nous faire pénétrer dans toutes les petites intimités de son siècle ; — Juvénal, ce grand et honnête menteur, qui, avec son stoïcisme, la fausseté de son point de vue, l’hyperbole de sa satire, ne peut cependant retenir le génie de son temps, qui déborde et se trahit par tous les pores ; — Pétrone, qui nous mène à l’orgie, prend son époque au milieu des bacchanales, écrit avec une verve toute particulière aux Romains, — la verve d’un débauché qui va mourir, — son livre, débauche d’esprit et de mœurs.

Si j’avais à aller plus loin, à peindre ce qui vivait en ce siècle et ce qui n’était pas de ce siècle, à dégager de cette société infâme l’unique germe de toute pure vertu, de toute philosophie humaine, de toute civilisation, je serais mené bien plus loin : ce serait ici une autre histoire à faire et une histoire si différente, qu’on a peine à les croire contemporaines l’une de l’autre et qu’elles se touchent au plus par quelques points. J’ai négligé de vous avertir que, pendant que je