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vous racontais les supercheries d’Auguste, les infamies de Tibère, les hallucinations de Caligula, le christianisme est venu au monde, qu’il pousse sous l’herbe, qu’il grandit, qu’il soulève les assises de la société antique, que le vieil édifice se lézarde. Il est encore inaperçu et il agit ; il fait en ce monde un monde à part, monde que l’on ignore, et qui, au bout de quatre siècles, révélera sa puissance préparée dans les souterrains de Rome, entre d’humbles cénotaphes et sous les chevilles de la torture ; histoire trop belle pour que je vous la raconte, à laquelle je ne veux pas toucher, parce qu’elle irait trop mal avec la Rome païenne, avec Caligula et Néron. Le christianisme les souffrait, et c’était sa vertu ; le monde les supportait, et c’était son crime. Autant étaient admirable, dans les geôles et sur le chevalet la soumission désintéressée, l’espérance surnaturelle, la patience intelligente du chrétien ; autant étaient vile, au milieu de son luxe et de ses plaisirs furieux, l’égoïste adulation, le stupide désespoir, la lâche tolérance du monde : il y avait toute la distance du suicide au martyre. Voilà ce que je voudrais faire comprendre. Tibère fut un terroriste habile, la société romaine prit sous lui son premier pli ; Caligula un fou altéré de sang, elle l’adora ; Claude un imbécille, elle respira, heureuse de ne point avoir pis ; tous trois des lâches, et elle eut peur d’eux. La lâcheté est un caractère commun aux Césars : Néron pleura avant de mourir ; Héliogabale, après avoir fait de grands frais pour se tuer et s’être préparé un voluptueux suicide, se laissa égorger par d’autres et jeter je ne sais où.

Revenons à Claude. Il ressemble à un de ces enfans que l’on rend imbécilles à force de leur dire qu’ils le sont, qu’on humilie et qu’on abaisse à leurs propres yeux, dont on brise le ressort, et qu’on s’étonne ensuite de presser sans qu’ils répondent. Caligula, quoique durement traité dans sa famille, avait été l’enfant gâté du peuple ; vous avez vu ce qu’il devint. Claude, humilié dans sa famille, bafoué en public, commit ou laissa commettre par imbécillité autant de crimes que l’autre par démence. Beau destin du monde, qui des mains d’un fou furieux passait aux mains d’un fou imbécille, le tout précédé de Tibère et suivi de Néron !

Enfant à la mort de son père, malade, infirme, il était né malheureux ; grand tort aux yeux de l’antiquité. Jusqu’après sa majorité, on lui donna pour précepteur un palefrenier, un barbare, qui le maltraitait. Sa mère l’appelait une monstruosité de l’espèce humaine, une ébauche manquée de la nature. Si elle parlait d’un sot : Il est plus bête, disait-elle, que mon fils Claudius. Sa grand’mère Livie ne lui