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ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

d’embryon, les éléments dramatiques sont triés avec soin. Si le drame n’est pas fait, du moins les matériaux ne manquent pas, et l’auteur les a rassemblés, sinon combinés, avec une louable vigilance. La rencontre de Latréaumont et de Louis de Rohan dans la forêt de Fontainebleau est présentée avec habileté. La rivalité du grand-veneur et de M. de Villarceaux, de la grande meute et des chiens du cabinet, est peut-être exposée avec prolixité ; mais les détails, quoique trop multipliés, sont ingénieusement mis en scène et ne provoquent pas d’impatience. Quant à la subite intervention de Maurice d’O, je ne saurais l’approuver ; c’est tout au plus si je puis accepter la blessure faite à Louis de Rohan par le cerf aux abois, comme pour donner à Latréaumont l’occasion de mériter la reconnaissance du chevalier.

À peine l’action s’est-elle ainsi nouée, à peine Latréaumont a-t-il saisi sa proie, que le récit fait une halte inexplicable. Pour le lecteur, il n’y a aucune incertitude sur l’issue du complot ; mais l’auteur paraît prendre plaisir à éloigner indéfiniment ce qui est prévu. La retraite de Louis de Rohan à Saint-Mandé, ses entretiens avec Maurice et avec Latréaumont, son désespoir, son repentir, ses projets de réforme et de bonheur, ses larmes, ses promesses, et sa misérable frayeur devant les menaces et les railleries de son complice, encadré autrement, c’est-à-dire précédés et suivis de chapitres engendrés l’un de l’autre, et non juxtaposés sans aucune raison nécessaire, offriraient assurément un touchant tableau. Placé entre une femme qui l’aime et un démon qui l’entraîne au fond de l’abîme, entre Maurice, qui lui sacrifie son honneur, qui lui offre sa fortune, et Latréaumont qui l’a ruiné afin de pouvoir acheter son nom, Louis de Rohan pouvait devenir un personnage vraiment tragique. Mais, pour opérer cette transformation il fallait ne pas promener l’attention du lecteur de Saint-Mandé à Eudreville, d’Eudreville à Versailles ; car ce continuel éparpillement de la pensée fatigue l’esprit, et n’éveille aucune sympathie. La tendresse de Maurice s’exprime avec effusion, mais souvent d’une façon vulgaire. Le lecteur reconnaît avec surprise dans les paroles prononcées par une fille d’honneur de la reine plusieurs phrases qui ont acquis, sur les théâtres du boulevart, une célébrité proverbiale. Quant aux railleries de Latréaumont, quant aux menaces qu’il adresse au chevalier tremblant, elles surpassent en cynisme, en effronterie, les tirades récitées par Frédérick Lemaître dans le plus populaire de ses rôles.

Nous quittons bientôt Saint-Mandé pour retourner à Eudreville. Le marquis de Vilars est mort ; Auguste des Préaux, toujours amoureux