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de Louise, se prépare à l’épouser. La marquise a promis à son mari mourant de rester veuve deux ans ; et ce serment, qui retarde le mariage d’Auguste et de Louise, donne à Latréaumont le temps de rappeler à son neveu, au chevalier des Préaux, la promesse imprudente qu’il a reçue. Marié à Louise, peut-être le chevalier des Préaux eût-il renoncé à conspirer ; car le bonheur détourne facilement du goût des aventures. Le terme fixé par Louise change la destinée d’Auguste ; et Latréaumont, avec deux ou trois tirades sur l’honneur et la loyauté, ressaisit son autorité sur son neveu. Dès que Louise connaît l’engagement pris par Auguste, elle n’hésite pas à entrer dans la conspiration, avec l’unique espérance de partager le sort du chevalier des Préaux.

L’arrestation de Latréaumont par Brissac, sa résistance désespérée, sa mort, nous amènent rapidement aux dernières scènes du livre, à la Bastille, à l’échafaud. Je ne dis rien de l’interrogatoire subi par Latréaumont pendant son agonie. Je passe sous silence l’inutile torture à l’aide de laquelle la justice essaie d’obtenir des aveux ; mais je ne puis omettre les hautaines railleries du patient. Je ne pense pas que ces paroles servent à dessiner le caractère de Latréaumont, et je suis sûr qu’elles exciteront un dégoût universel. Il n’y a là rien de tragique, rien qui émeuve, qui effraie, c’est tout simplement une grimace sanglante. Sans doute les derniers momens de Latréaumont méritaient d’être racontés, mais il fallait mettre dans ce récit plus de mesure et de choix.

Arrivé au terme de sa tâche, l’auteur, comme saisi d’une subite défaillance, abandonne la forme narrative, et divise l’interrogatoire et la mort des conjurés en plusieurs dialogues. Pourquoi ? Rien ne motive ce changement. M. Sue avait déjà pris ce parti malencontreux dans la Vigie de Koatven ; mais il aurait dû recueillir les voix et ne pas renouveler une faute généralement blâmée. Cette multiple agonie, partagée en chapitres dialogués, soulève le cœur, et n’ajoute rien à la vraisemblance du récit. L’auteur a pris la peine de transcrire, d’après les pièces du procès, tous les cris poussés par chacun des patiens pendant les épreuves successives de la torture. À mon avis, c’est une triste manière de comprendre et de peindre la vérité. Je ne crois pas qu’il se trouve un seul lecteur capable de s’intéresser à ce catalogue d’exclamations. Les réponses des accusés aux juges-commissaires chargés d’instruire le procès suffisaient amplement à prouver la réalité historique du dénouement. Mais ces réponses, malgré leur importance, devaient être résumées plutôt que transcrites. L’auteur, en