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dix ans la critique devra se prononcer sur un homme que nous ne connaissons pas encore, et qui n’aura de M. Hugo que le nom.

Les Odes et Ballades embrassent une période de dix années ; ce recueil, formé de la réunion de trois volumes, publiés en 1822, 1824 et 1826, contient le germe évident de toutes les qualités que l’auteur devait développer plus tard sous une forme si éclatante. Cependant il se distingue nettement des recueils suivans, et il offre à la critique un curieux sujet d’étude. Nous laissons à d’autres le triste plaisir d’opposer les odes royalistes de M. Hugo aux odes démocratiques qu’il a publiées depuis sept ans. À notre avis, cette contradiction est inévitable dans la vie des hommes qui écrivent de bonne heure. Sans doute, il vaudrait mieux attendre, pour parler, l’heure de la maturité, et ne pas toucher aux questions politiques avant de les avoir étudiées ; mais nous préférons l’inconséquence à l’hypocrisie, et nous pardonnerions difficilement à M. Hugo de plaider aujourd’hui pour des croyances mortes depuis long-temps dans son cœur. Il a subi la commune destinée ; à mesure qu’il avançait dans la vie, il a vu se ternir ou s’écrouler les idoles qu’il avait adorées avec ferveur. Il a cru devoir confesser hautement la ruine de ses premières espérances ; ce n’est pas nous qui blâmerons sa franchise. Mais il y a dans les Odes et Ballades autre chose à étudier que les sentimens politiques de l’auteur pendant une période de dix années. Le cinquième livre des odes, très imparfait sans doute pour ceux qui le jugent du point de vue littéraire, exprime une série d’idées et de sentimens que M. Hugo semble aujourd’hui avoir complètement oubliés, ou qu’il dédaigne peut-être comme inutiles à la poésie ; il y a dans ce cinquième livre, dont le ton général se rapproche plutôt de l’élégie que de l’ode, de sincères espérances, des émotions réelles, des vœux ardens et partis du cœur. Mais la parole du poète, encore inhabile, inexpérimentée, traduit confusément les sentimens et les idées que le poète lui confie. Les stances marchent d’un pas timide ; les strophes osent à peine déployer leurs ailes et rasent d’un vol boiteux le champ d’où elles sont parties. Aussi faut-il une véritable persévérance pour démêler dans ce cinquième livre la grâce et la naïveté de l’émotion, la ferveur et la confiance qui animent le poète.

Mais si la forme est imparfaite, si le vers bégaie, si l’image trébuche, le cœur du moins joue un rôle réel dans ces modestes élégies. Si nous lui souhaitons un meilleur interprète, nous sommes heureux en même temps de voir que ces stances ne sont pas construites avec des mots, et que le poète a vécu et senti avant de parler. Fécondé par