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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

l’étude attentive de la conscience, ce cinquième livre, qui est plutôt un germe qu’un fruit mûr, pouvait s’épanouir en moissons abondantes ; mais il n’a reçu ni soleil, ni rosée, et ce germe a disparu comme s’il n’avait jamais été.

Il n’y a rien à dire des odes royalistes de M. Hugo, car ces odes, écrites de seize à vingt-six ans, sont empreintes d’une telle inexpérience, qu’elles seraient depuis long-temps effacées de toutes les mémoires, si l’auteur, en poursuivant sa course lyrique, n’eût reporté naturellement l’attention sur ses premiers débuts. Sans être dépourvues d’intérêt, elles ont plus d’emphase que d’élévation. Les images s’y croisent au lieu de s’entr’aider, et le fracas des mots y déguise rarement la ténuité ou le néant de la pensée. Je n’hésite donc pas à placer les odes que l’auteur appelle politiques fort au-dessous du cinquième livre, car ces odes n’ont rien d’original, ni de personnel. Signées d’un nom qui fût demeuré obscur, elles ne mériteraient aucune attention ; signées du nom de M. Hugo, elles prouvent ce qui était prouvé depuis long-temps, qu’il faut avoir vécu avant de publier sa pensée, et que les convictions monarchiques, pas plus que les convictions démocratiques, ne peuvent dispenser du commerce des livres ou des hommes.

Les quinze ballades ajoutées aux trois recueils précédens et publiées, pour la première fois, en 1828, marquent dans la carrière de M. Hugo le déplorable passage de la pensée incomplète à l’abolition de la pensée. La Chasse du Burgrave et la Passe d’armes du roi Jean dépassent en puérilité, en vacuité, tout ce que l’imagination la plus dédaigneuse pourrait rêver. Les autres pièces ont quelquefois l’air de chuchotter une pensée ; mais elles ne tiennent pas leurs promesses.

Ce que présageaient les ballades s’est accompli dans les Orientales avec une rigueur effrayante. Les convictions ignorantes mais sincères qui circulaient dans les odes politiques, les sentimens confus qui se laissaient deviner sous le voile brumeux du cinquième livre, ont disparu sans retour, et n’essaient pas même de lutter contre les préoccupations pittoresques ou musicales qui dominent l’auteur. Entre la langue des Odes et Ballades et la langue des Orientales, il y a un abîme. Autant le poète vendéen et le rêveur de Chérizy sont inhabiles à traduire ce qu’ils veulent ou ce qu’ils sentent, autant le poète des Orientales est sûr de sa parole. Il dit tout ce qu’il veut, mais je dois ajouter qu’il n’a rien à dire. Tout entier aux évolutions de ses strophes, occupé à les discipliner, à les faire marcher sur deux, sur trois rangs de profondeur, à les dédoubler, à les diviser en colonnes, il n’a pas