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ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

insistant sur tous les détails de cet interrogatoire, a cru, sans doute, donner à son livre un caractère d’authenticité irrécusable ; je pense qu’il s’est trompé. Personne ne songe à contester la mort du chevalier de Rohan et de ses complices, ni les causes qui l’ont amenée ; la transcription de l’interrogatoire se propose donc de réfuter des doutes imaginaires.

L’entretien de Louis XIV avec Louvois et Colbert, avant l’exécution, est empreint d’une cruauté froide ; et appelle la haine, sur la tête du roi sans exciter aucune sympathie en faveur de Louis de Rohan. Quel que fût l’égoïsme de Louis XIV, je ne puis voir dans cet entretien une scène historique ; je n’y vois qu’un pamphlet très inutile.

Trois épisodes de Latréaumot méritent un blâme spécial, car ces trois épisodes sont à la fois inutiles et traités avec une grande prétention. Le premier est l’entretien des filles d’honneur de la reine ; le second, la chasse à courre de Fontainebleau ; et le troisième, le duel de Latréaumont et de Châteauvillain au cabaret des Trois Cuillers. Quand ces trois épisodes seraient entièrement supprimés, non-seulement l’action principale n’y perdrait rien, mais elle deviendrait, par cette élimination, plus simple et plus digne. M. Sue, pour expliquer la subite colère de Louis XIV contre le chevalier de Rohan, suppose que le roi, placé dans une logette séparée de la chambre des filles d’honneur par une mince cloison, écoute leurs mutuelles confidences, et entend, de la bouche même de Maurice, l’éloge amoureuse de Louis de Rohan. L’égoïsme orgueilleux du roi ne peut se résigner à cette humiliation ; pour se venger d’une jeune fille qui a osé dire à ses compagnes : Louis de Rohan est plus beau, plus élégant dans sa toilette, plus habile à manier un cheval que le roi de France, il forme le projet de témoigner publiquement au grand-veneur son mécontentement et sa colère. Après avoir ordonné à Louis de Rohan de préparer la chasse à courre, il commande à M. de Villarceaux de lancer le cerf avec la meute des chiens du cabinet. Louis de Rohan, indigné de cette injustice, renonce à la charge de grand-veneur et quitte la cour. Ainsi la disgrace de Louis de Rohan et le complot insensé dans lequel il se laisse entraîner par sa haine contre Louis XIV, ont pour cause première un babillage de jeunes filles. Non-seulement cette explication me semble mesquine, mais l’entretien des filles d’honneur manque d’élégance et de finesse, et se prolonge au-delà de toute mesure. L’auteur se complaît dans le récit de ces puériles confidences comme s’il oubliait entièrement le sujet principal de son livre. Avant d’arriver aux paroles prononcées par Maurice, qui vont changer la destinée