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qu’à son heure, ses vers vont de son cœur à ses lèvres. Plus tard, en écrivant les Orientales et les Feuilles d’Automne, il a mis son cœur et son imagination au service de sa parole impérieuse ; il a voulu que l’émotion et la pensée jaillissent du choc des mots comme la lumière du choc des cailloux. Séduit par le murmure de ses strophes harmonieuses, il a cru qu’il avait asservi la poésie à ses caprices, et qu’à toute heure, dès qu’il lui plairait de chanter, il la trouverait docile et empressée comme les cordes d’une harpe. Applaudi, enivré, il a pris en pitié les hommes qui se donnent la peine de vivre, de sentir et de penser, qui se résignent à toutes les épreuves de l’étude et de la passion, avant de s’adresser à la foule. Mais cette erreur, partagée d’abord par de nombreux disciples devait avoir un terme, et aujourd’hui les plus fidèles admirateurs de M. Hugo n’essaient pas de soutenir la vérité humaine et vivante des Orientales et des Feuilles d’Automne. Ils ne répudient pas leur premier enthousiasme, ils continuent de louer en toute équité la valeur musicale de ces deux recueils ; mais ils regrettent avec une entière bonne foi que ces deux magnifiques palais soient inhabités, que l’émotion et la pensée n’animent pas ces chants mélodieux.

Il était permis de croire que M. Hugo comprenait toute la puérilité de la poésie exclusivement musicale. La lutte courageuse qu’il avait engagée contre lui-même, en écrivant les Feuilles d’Automne, semblait donner à cette opinion le caractère d’une vérité démontrée. Pris au dépourvu, lorsqu’il avait voulu célébrer les joies de la famille, n’était-il pas naturel qu’il rompît brusquement ses habitudes, et qu’il répudiât, avec une abnégation courageuse, la gloire illégitime qui l’avait perdu ? En passant de la poésie domestique à la poésie politique, ne devait-il pas se résigner à dépouiller le vieil homme, ou plutôt à recommencer l’apprentissage de la vie humaine, qu’il avait désapprise ? Oui, sans doute, il devait, mais il n’a pas voulu se renouveler. Il a traité la patrie comme la famille, avec une légèreté qui pourrait s’appeler dédain, si elle ne méritait pas le nom d’ignorance. Les Chants du Crépuscule et les Voix intérieures, où brillent çà et là quelques lueurs de pensée philosophique ou politique, ne sont cependant ni moins puérils ni moins vides que les Orientales, et rappellent à peine, d’une façon confuse, l’intention sincère mais impuissante des Feuilles d’Automne. Cette décadence n’a rien, assurément, qui doive nous surprendre. Si le maniement de la strophe n’avait pu dispenser le poète de l’étude attentive de la vie domestique, comment la pratique de plus en plus savante de la versification l’aurait-elle initié à la