Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/753

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
749
POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

connaissance des intérêts politiques ou des droits généraux de l’humanité ? Si M. Hugo a espéré un seul jour, un seul instant, qu’il arriverait, par la seule puissance de sa volonté, à comprendre les questions qu’il n’avait jamais étudiées, il est coupable de folie. Or, les Chants du Crépuscule et les Voix intérieures nous autorisent à croire qu’il a dédaigné l’étude des questions philosophiques et politiques. Quels fruits ce dédain a-t-il portés ! Le poète s’est débattu dans les ténèbres, comme un navire sans pilote et sans boussole. Il a déclamé, sans savoir où l’emportait sa parole ; mais il n’a rencontré qu’un auditoire inattentif et indifférent, et le silence de la foule a dû lui montrer qu’il avait épuisé tous les trésors de son ignorance. Il a tiré de la parole tout ce que la parole contenait ; s’il ne veut pas se survivre, il est temps qu’il appelle à son aide les idées qu’il a jusqu’ici négligées.


Quoique les trois romans qui ont précédé Notre-Dame de Paris soient très loin d’avoir la même importance littéraire que ce dernier ouvrage, cependant il est indispensable de les étudier avec une sérieuse attention pour comprendre et pour expliquer les transformations successives du talent poétique de M. Hugo. Ces transformations, je le sais, sont plutôt apparentes que réelles, plutôt superficielles que profondes. Sous la diversité se cache l’identité. Il est facile de remonter de Notre-Dame de Paris aux exploits de Han d’Islande et de conclure de Han d’Islande Notre-Dame de Paris. Toutefois il n’est pas hors de propos de caractériser la physionomie des trois premières tentatives qui ont signalé l’entrée de M. Hugo dans la carrière du roman ; car ce travail n’est pas moins riche en enseignemens que l’analyse de ses œuvres lyriques. Si l’auteur de Notre-Dame publiait aujourd’hui Han d’Islande, il est certain qu’un tel livre n’obtiendrait aucun succès et ne soulèverait pas même une dédaigneuse opposition. Ce roman n’est, en effet, qu’un mélodrame du troisième ordre, et sans doute il serait oublié depuis long-temps, sans la curiosité qui s’attache aux premiers bégaiemens d’un écrivain devenu célèbre. Han d’Islande et Spiagudry sont des monstres hideux et n’inspirent que le dégoût. Toutefois il est juste d’ajouter qu’Ethel et Ordener jettent sur le récit, d’ailleurs très vulgaire et très monotone, qui remplit les neuf dixièmes du livre, une sorte d’intérêt poétique. Assurément il s’en faut de beaucoup qu’Ethel et Ordener puissent passer pour des créations neuves, pour des personnages inventés ; telles qu’elles sont pourtant, ces deux figures excitent chez le lecteur une