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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

jusqu’ici, s’il persiste à se renfermer dans le culte exclusif du vocabulaire. Mais ce n’est pas à trente-six ans qu’il est permis de renoncer à se renouveler. Les métamorphoses que nous conseillons, que l’évidence prescrit à M. Hugo, sont d’ailleurs de telle nature, qu’il n’aura qu’à vouloir pour se transformer. Il est maître de la langue, il dit tout ce qu’il veut ; que lui manque-t-il ? d’avoir quelque chose à dire. Pour atteindre la véritable éloquence, pour rebâtir sa gloire chancelante sur une base solide, il faut qu’il se résigne à vivre dans la société des livres et des hommes. La vie proprement dite, la pratique des passions humaines ; l’analyse des intérêts qui dirigent la multitude ignorante, des espérances qui soutiennent les esprits éclairés, est la première épreuve qu’il doit s’imposer. La versification n’a plus de secrets pour lui ; le cœur de l’homme est plein de mystères qu’il n’a pas même entrevus. S’il a le courage de sonder ces problèmes, dont il ne paraît pas soupçonner l’existence, s’il se résout à étudier la conscience humaine, où se nouent et se dénouent tant de drames ignorés et terribles, je ne doute pas qu’il ne parvienne promptement à se régénérer, à rallier les admirations infidèles. Quand il aura vécu de la vie commune, quand il se sera mêlé aux mouvemens qui entraînent la société, aux luttes qui divisent les familles et les états, il reparaîtra dans la poésie lyrique, dans le roman, dans le drame, avec des forces nouvelles, et nous ne serons plus obligé de le gourmander sur sa puérilité.

Toutefois la pratique de la vie commune ne suffirait pas à compléter la régénération que nous espérons. Cette première épreuve pourrait tout au plus servir à transformer le talent lyrique de M. Hugo. Puisque l’auteur de Notre-Dame de Paris et d’Hernani paraît décidé à mettre en scène les personnages qui ont joué un rôle dans le passé, il faut qu’il se résigne à étudier le passé. Les disciples de M. Hugo font grand bruit de l’érudition historique de leur maître ; mais, à moins de croire qu’il oublie volontairement tout ce qu’il sait, dès qu’il prend la plume, nous sommes forcé de penser qu’il sait vraiment très peu de chose ; car, toutes les fois qu’il a touché à l’histoire, il a fait preuve d’un grand dédain ou d’une parfaite ignorance. Que M. Hugo méprise ou ignore la réalité historique, peu nous importe. La critique n’a aucun intérêt à résoudre cette question. Mais nous devons dire à l’auteur d’Hernani que le mépris et l’ignorance sont également de mauvais goût ; toutes les fois que le poète introduit dans un roman ou dans un drame un personnage historique, son devoir est de le