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connaître. Il peut le modifier en l’interprétant ; mais il ne lui est pas permis de le dénaturer. Or, tous les drames de M. Hugo contredisent formellement les données de l’histoire ; et si Notre-Dame de Paris paraît respecter davantage la réalité historique, c’est qu’il est plus facile de connaître la forme d’une pierre ou la couleur d’un vêtement que la vie et le caractère d’un roi. L’étude du passé est aujourd’hui généralement honorée, et l’érudition attribuée à M. Hugo par ses disciples sera soumise à un contrôle sévère. Si l’auteur d’Hernani veut emprunter à l’histoire le baptême de ses romans et de ses drames, il faut qu’il lui demande autre chose qu’un baptême inutile et trompeur ; il faut qu’il étudie l’homme caché sous le nom qu’il a choisi. À cette condition seulement il pourra continuer de mettre l’histoire en scène. Qu’il n’espère pas abuser plus long-temps la crédulité des intelligences oisives ou paresseuses ; car les plus ignorans savent aujourd’hui que ni Lucrèce Borgia, ni Marie Tudor, ni Charles-Quint, ni François Ier, ni Louis XIII, ni Richelieu, ni Cromwell, n’ont joué dans l’histoire le rôle singulier que M. Hugo leur attribue. Les plus ignorans savent que l’auteur de Notre-Dame de Paris se croit dispensé de l’étude par la toute-puissance de son génie, et sont très décidés à ne pas accepter cette prétention. Il n’y a pas de science possible sans étude, et si M. Hugo veut tirer tout de lui-même, il sera bientôt condamné à subir le dédain public.

Pratiquer la vie commune, étudier l’histoire, telles sont donc les deux épreuves auxquelles M. Hugo doit se résigner, s’il ne veut pas assister vivant à la mort de son nom. Appliquée tantôt à l’analyse de l’homme, tantôt à la connaissance du passé, son intelligence, qui ne demande qu’à être fécondée, produira bientôt les plus riches moissons. L’histoire serait pour le romancier, pour le poète dramatique, un enseignement incomplet ; mais l’histoire interprétée par la vie de chaque jour, éclairée par l’étude générale de l’humanité, offrirait à M. Hugo une source inépuisable de créations. À l’heure où nous parlons, il doit sentir mieux que nous combien il lui importe de se renouveler. Ses invectives furieuses contre la critique, ramenées à leur plus simple expression, ne signifient pas autre chose. S’il avait la conviction d’être dans le vrai, s’il ne doutait pas de lui-même, il ne se laisserait pas emporter à tous ces mouvemens de colère imprudente ; s’il était sincèrement pénétré de l’injustice des attaques dirigées contre lui, il abandonnerait au temps, à la vérité, le soin de le venger. Sa colère, bien comprise, n’est qu’un aveu. Depuis vingt ans, il combat