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DE LA LITTÉRATURE POPULAIRE EN ITALIE.

vialité, et même la partie sérieuse de ses drames flotte assez souvent entre la raideur italienne et la négligence vulgaire. La nation pour laquelle il écrit exerce sur lui une influence fâcheuse ; il le sait, il le dit ; il se croit supérieur à sa réputation ; il accuse l’Italie de son impuissance, de son inutilité, et on peut l’en croire sur parole en voyant le génie qu’il a prodigué dans ses drames et la sagacité instinctive avec laquelle il s’est successivement corrigé dans sa carrière théâtrale.

La comédie de l’art finit avec Gozzi. Pendant trois siècles, elle ne cessa de résumer les instincts et les forces des littératures municipales. Au XVe siècle, elle produisit Calmo, Molino et Ruzzante ; au XVIIe siècle, elle se divisa en deux genres, le drame merveilleux et le drame citadin ; sous l’influence française, elle perdit son énergie et fut attaquée par Cotta, Riccoboni, etc. ; mais vers la moitié du XVIIIe siècle, elle se tira de cette crise par les chefs-d’œuvre vénitiens de Goldoni et par les fantaisies héroï-comiques de Gozzi. Toujours riche d’acteurs et d’inspiration, la comédie de l’art s’est répandue de Venise dans toutes les parties de l’Italie, et, acceptant toutes les caricatures nationales, elle a soumis à ses lois les divers théâtres de la péninsule. Les deux Polichinelles de Naples ne furent que des variantes d’Arlequin et de Scapin ; Meo Patacca de Rome ne fut qu’une variante du capitaine ; Stentarello, le représentant de la lésinerie florentine, ne fut qu’une modification du valet. Sans exclure aucun municipe, la comédie de l’art a réuni, on le voit, dans son cadre vénitien tous les types bizarres de l’Italie. Les acteurs pris çà et là dans les provinces les plus éloignées furent les poètes qui ajoutèrent aux traditions du théâtre de Venise les traditions de toute l’Italie. C’étaient d’étranges mascarades que ces compagnies d’artistes ; un acteur donnait un soufflet avec son pied, un second imitait la flûte avec le gosier, un autre par dévotion ne jouait qu’avec un cilice sur la peau ; celui-ci parlait le patois bergamasque, celui-là le napolitain ; d’autres le vénitien, le milanais, le messinois ; et tous cependant se ressemblaient en cela qu’ils étaient des bouffons pleins de talent : Fiorillo inventait le rôle de Scaramouche, Lucio transportait le docteur Gratien sur la scène, l’arlequin Sacchi inspirait Charles Gozzi ; Cotta et Riccoboni étaient des pantalons qui rêvaient des révolutions littéraires ; tous étaient enfin des improvisateurs, et Goldoni, au milieu de ses compagnons comiques, se trouvait, disait-il, heureux comme un peintre dans son atelier.

Des troupes d’acteurs de la comédie de l’art parurent dans toutes les capitales de l’Europe ; elles jouèrent à Lisbonne, à Londres, à Vienne, à Dresde, à Berlin, à Madrid, et s’établirent dans plusieurs villes ; mais à Paris les acteurs italiens se naturalisèrent tout-à-fait. Ils avaient fréquenté la France depuis l’époque de Henri III ; sous Mazarin et Louis XIV, ils y séjournèrent encore plus souvent ; sous la régence, la troupe italienne fit alliance avec des écrivains français et exploita la brillante réception qu’on lui avait faite pour fonder un théâtre qui n’avait d’italien que le nom, l’origine, quelques acteurs et quelques masques ; et encore ces masques devinrent-ils français. La niaiserie d’Arlequin