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Ou bien, veux-tu ? mourons, asphyxions-nous ; quittons la vie par lassitude, comme tant d’autres couples l’ont quittée par fanatisme amoureux. Il faut que notre ame périsse sous le poids de la matière, ou que notre corps, dévoré par l’esprit, se soustraie à l’horreur de la condition humaine.

Il dort toujours ! et moi, je ne saurais retrouver un instant de calme quand le contraste de la misère d’autrui et de ma richesse infâme vient livrer mon sein au remords ! Ô ciel ! quelle brute est donc ce jeune homme qu’hier je trouvais si beau ? Regardez-le, étoiles vacillantes qui fuyez dans l’immensité, et voilez-vous à jamais pour lui ! Soleil, ne pénètre pas dans cette chambre, n’éclaire pas ce front flétri par la débauche, qui n’a jamais eu ni une pensée de reproche, ni une malédiction pour la Providence oublieuse !

Et toi, vassal, victime, porteur de haillons ; toi esclave, toi travailleur, regarde-le… regarde-moi, pâle, échevelée, désolée à cette fenêtre… regarde-nous bien tous les deux. Un jeune homme riche et beau qui paie l’amour d’une femme, et une femme perdue qui méprise cet homme et son argent : voilà les êtres que tu sers, que tu crains, que tu respectes… Ramasse donc les outils de ton travail, ces boulets de ton bagne éternel, et frappe ! écrase ces êtres parasites qui mangent ton pain et te volent jusqu’à ta place au soleil ! Tue cet homme qui dort bercé par l’égoïsme, tue aussi cette femme qui pleure, impuissante à sortir du vice !

Quant à Sténio, il est plus malheureux que jamais. Après avoir perdu, dans le vagabondage d’une folle vie, sa fortune et sa santé, il revient dans son pays dévoré de tristesse. Il trouve qu’un grand changement s’est opéré dans la province. Le cardinal Annibal (un très profond caractère), et Lélia, devenue abbesse des Camaldules, avaient fait, dans les mœurs et les habitudes, une sorte de révolution. Lorsque Sténio voit la religion régner partout, son ironie ne connaît plus de bornes. Toute l’amertume qu’il avait couvée contre Lélia se réveille à l’idée de la voir heureuse ou puissante. Il roule dans son esprit mille projets de vengeance, tous plus fous les uns que les autres ; il veut à tout prix mortifier l’orgueil de Lélia ; ne pouvant la briser, il veut au moins la tourmenter. Il pénètre, il erre dans le cloître des Camaldules, suit au hasard une galerie étroite, et se trouve dans la cellule de Lélia. La scène entre eux est décisive. Obligé de s’avouer, dans le fond de l’ame, que Lélia triomphe, livré à un dernier accès de désespoir, Sténio va au bord du lac et n’en revient plus. Nous donnons les chapitres de conclusion : c’est le naufrage de toute cette réforme tentée au sein du catholicisme par Lélia et le cardinal.

La mort de Sténio fut le signal d’autres événemens tragiques. Le cardinal mourut, peu de temps après, d’un mal si rapide et si violent,