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LÉLIA.

qu’on l’attribua au poison. Magnus avait abandonné son ermitage. Il avait erré plusieurs jours dans les montagnes, en proie à un affreux délire. Les montagnards consternés entendirent ses cris lamentables retentir dans l’horreur de la nuit ; ses pas inégaux et précipités ébranlèrent le seuil de leurs chalets et les y retinrent jusqu’au jour, éveillés et tremblans. Enfin, il disparut, et alla s’ensevelir dans un couvent de chartreux. Mais bientôt d’étranges révélations sortirent de cet asile, et allèrent bouleverser les existences les plus sereines et les plus brillantes. Annibal succomba sans être appelé à aucune explication. Plusieurs évêques qui l’avaient secondé dans ses vues généreuses, grand nombre de prêtres les plus distingués du clergé par leurs lumières et la noblesse de leur conduite, furent disgraciés ou interdits. Quant à Lélia, on pensa que de tels châtimens seraient trop doux pour l’expiation de ses crimes, et qu’il fallait lui infliger l’humiliation et la honte. L’inquisition instruisit son procès. Le prélat puissant qui l’avait soutenue dans sa carrière était abattu. Les animosités profondes, résultat de cette nouvelle direction donnée par eux et par leurs adhérens aux idées religieuses, et qui avaient grondé sourdement sous leurs pieds, éclatèrent tout à coup et prirent leur revanche. On versa le venin de la calomnie sur la tombe à peine fermée du cardinal, libation impure offerte aux passions infernales. On rechercha les actions secrètes de sa vie, et, au lieu de blâmer celles qui auraient pu être répréhensibles, on les passa sous silence pour ne s’occuper que des dernières années de sa vie, années qui, sous l’influence de Lélia, étaient devenues aussi pures que l’ame de Lélia le souhaitait pour sympathiser entièrement avec celle du prélat. On prit plaisir à répandre la fange du scandale et de l’imposture sur cette amitié sacrée qui eût pu produire de si grandes choses dans l’intérêt de l’église, si l’église, comme toutes les puissances qui finissent, n’eût pris à tâche de se précipiter elle-même dans l’abîme où elle dort aujourd’hui sans espoir de réveil.

L’abbesse des Camaldules fut donc accusée d’avoir été l’épouse adultère du Christ et d’avoir entraîné dans des voies de perdition un prince de l’église qui, avant sa liaison funeste avec elle, avait été, disait-on, une des colonnes de la foi. En outre, elle fut accusée d’avoir professé des doctrines étranges, nouvelles, pleines de passions mondaines, et toutes imprégnées d’hérésie ; puis, d’avoir entretenu des relations criminelles avec un impie qui s’introduisait la nuit dans sa cellule ; enfin, d’avoir mis le comble au délire de l’apostasie et à l’audace du sacrilége en faisant inhumer le cadavre de cet