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d’hui de quatorze millions. Néanmoins ces accroissemens ne sauraient balancer les périls auxquels l’exposent l’invasion de la Russie au cœur de l’Allemagne, et l’espèce de dépendance dans laquelle se trouve ce royaume par sa position géographique.

Ce n’était pas seulement au nom de l’indépendance germanique, mais aussi de la liberté, que les chefs des sociétés secrètes avaient soulevé contre la France les populations de l’Allemagne. Dans l’entraînement de la lutte, les souverains avaient promis à leurs peuples des institutions représentatives, et Frédéric-Guillaume, dominé alors par le Tugend-Bund et le génie de Stein, avait été l’un des premiers à engager sa parole. Mais lorsque, après le rétablissement de la paix, le moment fut venu pour ce prince de tenir sa promesse, il recula devant les difficultés de son exécution. La Prusse était sortie du congrès de Vienne avec une organisation défectueuse. Habitans catholiques du duché du Bas-Rhin, Polonais du duché de Posen, Saxons violemment séparés de leur souverain légitime, Prussiens protestans du Brandebourg, on avait attaché au même sceptre toutes ces populations diverses, et on en avait formé une monarchie bigarrée qui, au défaut d’ensemble et d’unité, joignait celui d’être projetée sur une ligne immense, sans force de cohésion ni frontières militaires à ses deux extrémités. Le duché du Bas-Rhin, dominé par les idées françaises, réclamait la conservation du code Napoléon et du jury et une administration séparée ; la noblesse médiatisée, le rétablissement de ses anciens priviléges ; les vieilles provinces prussiennes, des assemblées provinciales ; les paysans de la Westphalie, l’abolition de la servitude et de la glèbe ; la bourgeoisie enfin et le peuple, une assemblée nationale. Pour que tous ces élémens discordans pussent s’ajuster et fonctionner ensemble, peut-être était-il nécessaire qu’une volonté unique, absolue, intelligente, les dominât tous de sa hauteur et les gouvernât quelque temps, chacun selon sa nature et ses tendances.

En 1815 et dans les années qui suivirent, les dissemblances étaient si tranchées, les prétentions si impérieuses, les esprits si exaltés, que l’on s’explique, sans l’absoudre complètement, les répugnances de Frédéric-Guillaume à leur ouvrir la grande arène parlementaire. Il a craint sans doute qu’une tribune libre ne devînt l’écho passionné de tous les regrets, de toutes les douleurs qu’avaient fait naître dans l’esprit des populations de la Pologne, de la Saxe et des bords du Rhin, la distribution arbitraire de leurs territoires et le mépris de leur nationalité. Sans rétracter sa promesse, il résolut d’en ajourner l’accomplissement. Par décret du 22 mai 1815, une commission devait être