Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/826

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
822
REVUE DES DEUX MONDES.

mens et une apologie for my not going on shore, apologie que l’état du ciel faisait beaucoup mieux que moi.

Le lendemain s’écoula, puis le surlendemain, et enfin le troisième jour, sans que la pluie parût vouloir cesser. Nous commençâmes à croire que le soleil était chose invisible à Manille, et M… et moi, décidés à ne pas perdre davantage un temps précieux, nous nous jetâmes dans un canot pour aller, malgré la mer, le vent et les torrens de pluie, faire une visite à M. Barrot, dont j’avais reçu une lettre fort aimable.

La ville est bâtie sur les bords d’une rivière qui se trouve encaissée jusqu’à la mer par deux belles chaussées, à l’extrémité desquelles s’élèvent d’un côté un petit phare et de l’autre un port bien bâti et en bon état. Les lames battaient avec fureur les murs solides de la forteresse, et couvraient d’écume la partie la plus haute du phare. Nous entrâmes avec peine, au milieu des brisans, dans le petit chenal marqué par des pierres qu’il faut suivre pour franchir la barre, et puis nous nous trouvâmes dans la rivière, où le courant, luttant contre la marée montante et le vent, soulevait des vagues courtes, mais droites et dures, qui se heurtaient dans tous les sens et entraînaient dans leurs sauts désordonnés notre embarcation d’une manière fort désagréable. Cependant le ciel, qui avait paru vouloir s’éclaircir, abaissa peu à peu vers la terre des masses énormes de nuages noirs, et, derrière nous, le bouillonnement des eaux nous annonça qu’il était temps de chercher un abri.

Un de ces immenses bateaux plats couverts de toitures mouvantes en paille, si utilement employés pour le transport des marchandises, se traînait péniblement le long de la jetée, cherchant à remonter le courant et à regagner son poste parmi les nombreux navires dont les mâtures rapprochées nous annonçaient les places où l’on pouvait débarquer. Nous atteignîmes bientôt le casco (c’est le nom qu’on donne à ces larges embarcations), et nous sautâmes tous à son bord, officiers et matelots, pour nous mettre à l’abri sous ses voûtes de nattes. Ceux de nos hommes qui étaient déjà mouillés se mirent sur la jetée, avec deux ou trois Tagals, à tirer la corde au moyen de laquelle le lourd bateau se halait de l’avant.

Le Tagal qui était à la barre nous salua fort poliment ; il nous offrit du feu pour allumer nos cigarres ; et, quand nous fûmes confortablement installés au milieu de quelques veaux dont le bateau était chargé, il parut tout disposé à lier conversation avec nous. Le pauvre diable attendait depuis trois jours un moment de beau temps pour