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Méhémet-Ali que désormais la France n’a plus rien à lui demander. Sans doute, libre au pacha de s’abaisser, s’il le veut, le front dans la poussière ; nous l’avons toujours dit, si c’est effectivement à la Porte, à la Porte seule, à ses forces, à son gouvernement, qu’il rend les provinces qu’il occupe, rendît-il même l’Égypte, la France, tout en s’étonnant de tant de faiblesse après tant d’énergie, de tant d’abaissement après tant de gloire, n’a rien à dire ; seulement, peu convaincue de la possibilité pour la Porte de ressaisir réellement le gouvernement de ces provinces, la France resterait l’arme au bras, en observation, pour s’assurer que l’Égypte et la Syrie ne deviennent pas, sous le nom de la Porte, le prix de quelque ambition mal déguisée.

Encore une fois, Méhémet-Ali a fait preuve jusqu’ici de raison et d’habileté. Placé dans la position la plus difficile, il a échappé à tous les pièges et marché d’un pas ferme sur une ligne très étroite. Plus hardi, plus irritable, il se faisait passer pour un provocateur audacieux, téméraire, voulant la guerre à tout prix, sacrifiant le repos du monde à ses minces intérêts, l’opinion publique, même en France, l’aurait abandonné. Si, au contraire, découragé, effrayé, ne sachant tirer aucun parti des forces qu’il possède, il eût, à la face du monde qui le regarde, cédé aux sommations impérieuses des puissances, comme un timide écolier se baisse sous la férule d’un cuistre irrité, lui eût-on laissé quelque chose, il périssait par le ridicule et sous le mépris de l’Europe.

La conduite habile du pacha fait l’embarras des signataires du traité de Londres. On comptait sur sa faiblesse ou sur sa témérité. Peut-être même qu’in petto tous les signataires du traité ne faisaient pas le même pronostic. Peut-être que les uns comptaient sur la faiblesse du pacha, tandis que tel autre se flattait d’entendre bientôt les clairons des phalanges égyptiennes franchissant le Taurus et appelant ainsi une armée russe à Constantinople ou dans l’Asie mineure.

Quoi qu’il en soit, timide ou téméraire, le pacha paraissait courir à sa perte. L’Égypte, dans les deux cas, sous une forme ou sous une autre, ne devait pas tarder à devenir une sorte d’île ionienne ; la Russie se serait chargée tout naturellement de faire de plus en plus sentir à la Turquie son puissant patronage, qui doit peu à peu la préparer au sort de la Pologne. Quant à la France, on était convaincu qu’elle resterait spectatrice impassible de ces étranges transactions.

Le pacha a déjoué jusqu’à ce jour toutes les hypothèses, sauf une seule, celle où il serait raisonnable, hypothèse que ses ennemis ne lui avaient pas fait l’honneur d’admettre. Dès-lors ont commencé les embarras des nouveaux alliés.

Que faire ? Pousser à bout un homme raisonnable, qui, malgré l’outrecuidance de vos agens, vient au-devant de vous avec des propositions équitables, avec des concessions que l’opinion publique doit hautement avouer ? Il y aurait là une sorte de démence ; ce serait assumer sur soi la responsabilité, se rendre coupable de tous les malheurs qui peuvent retomber sur l’Asie et sur