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REVUE. — CHRONIQUE.

l’Europe. L’histoire n’aurait pas d’expression assez amère pour stigmatiser une pareille politique. Il serait par trop évident qu’on voudrait autre chose que ce que l’on dit, que les protocoles et les déclarations de désintéressement ne sont que des mensonges surannés, de vieux artifices qui rappellent trop la fin du dernier siècle, et qui ne peuvent désormais tromper personne.

Transiger avec le pacha ? Accepter ses concessions ou quelque chose d’analogue ? C’est là sans doute la sagesse, la raison, l’équité. C’est là ce que commande l’intérêt général, la paix du monde. C’est là faire ce qui est bien, mais c’est aux dépens de l’amour-propre. Il faudrait reconnaître qu’on n’a pas été infaillible, qu’on a dépassé la mesure, qu’on a tout remué, fait les actes les plus étranges, tenu la conduite la plus singulière, pour un résultat qu’on aurait pu obtenir avec une politique plus loyale et plus naturelle. Les petites passions l’emporteront-elles sur l’intérêt du monde ?

Au reste, c’est là une question que lord Palmerston seul peut s’adresser à lui-même ; elle le regarde seul.

La Prusse et l’Autriche sont en quelque sorte hors de cause. Elles ont signé par résignation, par faiblesse, par une vieille habitude de déférence. Le jour où la Russie et l’Angleterre se diront satisfaites, la Prusse et l’Autriche n’élèveront pas la moindre objection ; elles témoigneront au contraire une grande satisfaction de voir s’éloigner des chances et des périls où elles auraient beaucoup à perdre, et rien à gagner. Leur amour-propre n’est point intéressé à l’exécution littérale du traité de Londres.

Quant à la Russie, la question est moins simple. Croira qui voudra que la Russie a déchiré le traité d’Unkiar-Skelessi, renoncé à son protectorat exclusif de la Porte, donné un démenti formel à la vieille politique russe, en se mettant en quelque sorte à la suite de l’Angleterre pour les affaires d’Orient, uniquement pour arracher à Méhémet-Ali la Syrie. On ne fait pas un acte aussi énorme pour un si mince résultat. Le cabinet russe est trop habile ; il a droit à être jugé de plus haut. — Il a voulu rompre l’alliance anglo-française. — D’accord. C’est là ce qu’il a voulu avant tout et à tout prix. Les stipulations du 15 juillet, si elles ne cachaient pas d’autres vues, seraient contraires à l’intérêt russe. C’est sans doute là ce que lord Palmerston dira avec emphase au parlement. Il se vantera, en formules diplomatiques, d’avoir, comme on dit vulgairement, attrapé la Russie. Ce serait puéril de le dire, bien plus puéril de le croire.

Évidemment il y a là pour la Russie une arrière-pensée. A-t-elle voulu rompre l’alliance anglo-française uniquement pour le plaisir de la rompre ? L’alliance anglo-française ! Mais pour quiconque étudie à fond la question, il est évident que l’alliance anglo-française, c’est la paix ; que toute autre combinaison, quelle qu’elle soit, c’est la guerre. Il faut appeler les choses par leur nom. Malheur à ceux qui se berceraient d’illusions ! En pareille matière, trop de confiance perd, la méfiance sauve.

De toutes les combinaisons qui sont en dehors de l’alliance anglo-française, il en est plusieurs qui offrent à la France une brillante perspective d’avantages