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chées, dont le style est net et la pensée précise, mais ces grains de sable accumulés manquent de cohésion et d’intérêt. Le génie des époques s’efface sous la plume partiellement exacte de l’auteur. Trop essentiellement avocat, trop analyste et critique, pour saisir les grands traits de la civilisation européenne, il ne voit pas ou ne veut pas voir ces influences mutuelles et électriques que tous les peuples ont subies. Le nombre des œuvres qu’il doit enregistrer l’accable, et il en supprime arbitrairement une partie considérable sous des prétextes inadmissibles. Ainsi les voyageurs, les écrivains qui se sont occupés de la peinture et de la sculpture, les théologiens controversistes et la majeure partie des historiens, se trouvent exclus du travail de M. Hallam. Il prétend que les controverses aujourd’hui oubliées ne méritent pas un souvenir, et que l’histoire et les voyages, consacrés à fixer la mémoire des faits, n’entrent pas dans le domaine de la littérature. La littérature est pour lui une élaboration de la forme plutôt qu’une influence civilisatrice et un résultat des progrès ou des variations de l’humanité. Cette vue étroite le fait tomber, malgré la justesse de son esprit, dans une des plus graves erreurs qui se puissent concevoir. Les lettres du voyageur Busbecq et les controverses du jansénisme ont exercé plus d’action sur les esprits que telles œuvres poétiques fort célèbres dans leur temps, et que M. Hallam a jugées dignes de commémoration.

Il valait certes mieux imiter simplement les Bénédictins de France et le bon abbé Goujet, auteur de la bibliothèque interminable des poètes français, prendre et analyser un à un, pièce à pièce, en cent volumes, chaque nom littéraire, et offrir à la science future un répertoire utile, que de poser des limites et de former des groupes arbitraires, sans indiquer leurs rapports mutuels, leur direction, leur marche et leur génie. On pourra consulter avec quelque fruit les quatre volumes de Hallam ; la partie consacrée aux publicistes et aux écrivains politiques, se rapprochant davantage des études spéciales de l’auteur, mérite beaucoup d’éloges. Mais l’œuvre, dans son ensemble, nous paraît insuffisante et manquée ; certaines critiques de détail excitent le sourire. M. Hallam, tout en admirant Molière, l’accuse de manquer d’esprit (wit). Molière n’a jamais cherché l’esprit des mots ; les saillies les plus étincelantes de sa verve naissent toujours du choc du bon sens se heurtant contre le ridicule. Molière ne fait pas d’épigrammes.

Le livre qui produit le plus de sensation aujourd’hui en Angleterre, c’est l’ouvrage de M. Tocqueville sur la démocratie américaine ; il