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défauts bizarres éveillent et stimulent le marasme et l’affaissement général. On lui emprunte des phrases, on copie ses mots composés ; on emploie assez ridiculement ses inventions extravagantes. Les jeunes écrivains, auxquels depuis long-temps il manquait un étendard et un mot d’ordre, essaient à leur tour la création de ces néologismes qui sont la difformité de son talent. C’est le malheur des penseurs originaux, de traîner à leur suite une foule de copistes de leurs excès ou de leurs misères ; tous ceux qui, à tort ou à droit, donnent une impulsion vive et nouvelle à la littérature d’un pays, sont suivis, dans la voie publique de leur renommée, par une tourbe criarde qui les imite ; valets suspendus au carrosse du maître. On lui laisse son génie, on l’imite quant à l’extérieur, au geste et au costume. Rien de plus faible en général que les imitateurs de Carlyle ; rien de moins concluant que les critiques et les analyses dont il a été l’objet dans les revues anglaises. Comme sa supériorité résulte d’une pensée forte dont l’énergie a long-temps élaboré en silence avec une puissante ardeur le lingot d’or qu’elle a bizarrement ciselé, il faut une sympathie très énergique avec Carlyle, pour l’atteindre et le comprendre. Les uns l’attaquent comme radical, les autres comme panthéiste, d’autres enfin comme conservateur. Il n’est rien de tout cela ; c’est un philosophe plus élevé que le panthéisme, et d’autant plus remarquable, que son analyse n’abandonne point la synthèse.

En face de Carlyle et de sa philosophie, si curieusement armée de la loupe et du télescope, s’est placé récemment un historien écossais, qui a des prétentions moins élevées. Archibald Alison vient de publier neuf volumes des annales de l’Europe, depuis le commencement de la révolution française jusqu’en 1815. Cet ouvrage, dont les principes sont torys et les vues aristocratiques, est précieux sous un rapport : il renferme le détail complet des débats parlementaires de la Grande-Bretagne pendant cette période importante. Alison, esprit net et droit, sans affectation d’éloquence, sans fanatisme d’opinion, mais fort attaché à son parti, mérite l’estime plutôt que l’admiration ; son style a toute la pureté et la lucidité de sa pensée ; c’est l’école de Robertson appliquée à la narration des faits contemporains.

Nous connaissons à peine en France les orageux débats de cette histoire parlementaire, exactement racontée par Alison. Contemporaine de la révolution française, elle nous apparaît d’une manière vague et fantastique, plutôt comme une gigantesque ennemie que comme une sévère réalité. L’ouvrage que je cite, scène bruyante où