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REVUE. — CHRONIQUE.

Beschir-Saghir. Ainsi rien n’est encore décidé. Le fait le plus grave, bien que nous manquions de renseignemens impartiaux pour l’apprécier au juste, est l’insurrection du Liban. D’un autre côté, la saison est fort avancée ; les vaisseaux seront forcés de s’éloigner des côtes de la Syrie ; les Turcs ne savent pas ce que c’est qu’une campagne d’hiver. Que deviendront les troupes débarquées si la flotte s’éloigne, si Ibrahim n’a pas été défait auparavant, si l’insurrection de la montagne n’est pas de force à lui fermer le chemin de la côte ? On le voit, tout est encore possible, la ruine comme le rétablissement des affaires du pacha. On ne saurait pas toutefois compter aujourd’hui sur sa résistance comme on pouvait vraisemblablement y compter au mois d’octobre. Elle est aujourd’hui possible encore, mais beaucoup moins probable.

Ce n’est pas la force matérielle des alliés, ce ne sont pas leurs bombes, leurs fusils, leurs soldats, qui étaient à redouter pour Méhémet-Ali ; c’est leur influence morale, c’est leur or. Quatre grandes puissances européennes épousant la cause du sultan ; des chrétiens armés et redoutables appelant à l’insurrection des populations chrétiennes ; des émissaires parcourant sous toutes les formes les contrées de la Syrie, prodiguant l’or, les encouragemens, les armes, les promesses : qu’on essaie d’une pareille conduite avec les peuples asservis de l’Europe, et on verra si les gouvernemens européens sont plus habiles et plus vaillans qu’Ibrahim !

Nous avons peut-être suivi une politique trop loyale, trop débonnaire. Ami sincère de la paix, le gouvernement français, même après le traité du 15 juillet, s’il a pris dans son intérieur et dans son intérêt des mesures dont il est seul juge, n’a rien fait en Orient qui pût contrarier les vues des alliés. Il s’est borné à donner, soit à la Porte, soit au pacha, des conseils de modération et de prudence.

Il doit en résulter pour nous un amoindrissement, une sorte d’abaissement dans l’esprit des Orientaux, qui, redisons-le, ne croient qu’à la force. D’un autre côté, nous nous empressons de le reconnaître, le cas n’était pas arrivé où l’on dût tirer l’épée et jeter le fourreau. S’il y avait eu à notre égard mauvais procédé, il n’y avait pas eu d’outrage, et nos intérêts n’étaient pas encore compromis au point de légitimer la guerre.

Mais aujourd’hui surtout il y a entre la paix et la guerre des situations intermédiaires qui feront sans doute le désespoir de la science, lorsqu’elle voudra les définir, mais qui n’ont pas moins existé. Nous avons, de concert avec l’Angleterre, envoyé une armée prendre Anvers ; nous l’avons bombardée, canonnée, conquise aux dépens du roi des Pays-Bas, notre ami, car, malgré les tranchées d’Anvers, nous n’étions pas en guerre avec Guillaume. Nous surprîmes Ancône, bien entendu que nous étions toujours pleins d’attachement et de respect pour le saint-père. Nous étions, avec l’Angleterre, les alliés de la reine Isabelle, luttant avec don Carlos, qui recevait des secours, dont on ne faisait guère un secret, des cours du nord et de Sardaigne. Cela empêchait-il nos relations d’amitié avec ces cours ?