Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/237

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
233
DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

traînés par de gros chevaux qui ont de gros colliers de bois et de laine bleue. Quelle vue pour de beaux yeux !

Elle rentre dans sa chambre. Que trouver dans une chambre, sinon une femme de chambre ? Aussi la prend-elle en horreur tout d’un coup. La pauvre Gotte (car je lui donne son vrai nom, moi), la malheureuse ne peut pas dire un mot ce matin qui ne soit une sottise, une insolence, un crime ! — Madame veut son clavecin. Vite ! il faut ouvrir son clavecin ; est-il accordé ? elle est folle de musique, ce matin. Elle veut jouer Grétry ou J.-J. Rousseau ; si le clavecin n’est pas accordé, elle sera au désespoir, elle en pleurera. — Il l’est, madame, dit, la pauvre femme en tremblant, le facteur est venu ce matin. — Madame est prise, il faut jouer du clavecin, plus de motif de colère. — Elle prend son parti tout à coup, tourne le dos au clavecin, et dit en soupirant : J’en jouerai ce soir ; puis elle retourne à sa chère fenêtre.

Ah ! chose précieuse qu’une fenêtre à la campagne, quelque monotone que soit le paysage ; s’il peut arriver un bonheur, c’est par là. — Il arrive au galop ; c’est un jeune homme, c’est un officier : il a un chapeau bordé d’argent ! Enfin, voilà un homme et non des animaux. — Allez vite à la porte du parc, je l’invite à dîner ; elle a juré qu’elle ne dînerait pas seule. On dira ce qu’on voudra, il arrivera ce qu’il pourra, malheur à ceux qui se scandalisent ! En ce moment, elle donnerait sa part de paradis pour une conversation de Paris ; la voilà, elle ne se perdra pas, elle l’appelle par la fenêtre ; la conversation parisienne ne se fait point prier, elle ôte son manteau, elle passe la porte secrète, elle monte, elle est vive, elle est fine, elle a tous ses atours, elle est charmante.

Et cette petite faute de désœuvrement et de curiosité sera toute la pièce, c’est sur ce crime d’enfant que tout cet édifice est bâti, cet édifice aux lambris élégans et dorés. Que de ruses en effet ! que de finesses viennent au secours de Mme de Clainville, pour l’aider à déguiser sa curiosité puérile ! Il faut changer de nom, faire inviter le bel officier de la part de Mme de Wordacle, une vieille comtesse, si laide et si bossue, dit-elle avec douleur, tant pour une heure ce nom lui fait peine à porter ; il faut chercher à donner du sérieux à ce rendez-vous et du respect à cet inconnu, et trouver une seconde ruse a jeter par-dessus la première. Mais voici bien autre chose ; au moment d’inquiéter son mari dans ses possessions, elle est menacée dans les siennes. Une jeune personne est logée chez son mari, avec sa gouvernante ; elle le découvre par ses gens, fait venir