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cette jeune et rougissante beauté, qui a été hier tirée du couvent par son mari, on ne sait pourquoi ; elle ne le demande pas, et, avec une dignité douce et parfaite, la fait reconduire à son appartement. Déjà donc, un peu troublée, elle reçoit le chevalier Détieulette, et enfin ne dîne pas seule, comme elle l’avait juré. Que d’esprit il y eut à ce dîner, à en juger par la fin de cette conversation, où le chevalier, dans un continuel persiflage, lui fait des femmes un tableau malin, qu’il attribue à M. de Clainville, son mari, qu’elle est forcée de renier et de ne pas connaître. La punition commence pour la gracieuse étourdie ; elle devient bientôt plus grave, car M. de Clainville revient ; il faut cacher un inconnu chez elle, dans un cabinet secret, c’est déjà assez leste, mais c’est peu encore, elle s’enfonce dans le crime. Il lui est resté sur le cœur un mot de son mari contre les femmes, le diable lui souffle qu’elle se doit venger et prouver la supériorité de son sexe ; la ruse est ourdie à l’instant, et le plan de sa gageure imprévue, improvisée plus tôt. Elle torture son mari, ce grand chasseur, par le pari qu’il ne pourra tout décrire dans une serrure ; elle lui dit qu’il a oublié la clé, et lui avoue qu’un officier, un inconnu, est caché derrière cette serrure, parvient à le troubler enfin dans son sang-froid, puis offre cette clé quand il est en colère, le promène ainsi long-temps entre deux sentimens, le fait tomber à genoux, et jouir bien pleinement, par-devant ses domestiques, de la supériorité de son sexe ; puis, par pure grandeur d’ame, va ouvrir à l’inconnu quand son mari vaincu est sorti. Elle triomphe : — Eh bien ! monsieur, êtes-vous convaincu de l’avantage que toute femme peut avoir sur son mari ? — Il salue, il est plein de respect, mais on ne sait pourquoi il est peu convaincu. C’est que la trompeuse est trompée, c’est que cet inconnu était l’ami de son mari, et venait chez elle tout simplement pour épouser cette jeune personne mystérieuse. — Comment, monsieur, j’étais donc votre dupe ? — Non, madame, mais je n’étais pas la vôtre. — Et la duplicité est ainsi gracieusement châtiée, et rien que de bien n’a été entendu et vu, et un spectacle charmant a été donné.

Vous connaissez ces bustes de marbre qui forment une double haie si solennelle et si mélancolique dans le foyer public de la Comédie-Française ? Un soir, non pendant un entr’acte, il y a trop de monde, mais pendant une scène de confidens, au milieu de quelque honnête tragédie par trop régulièrement parfaite, allez un peu rêver devant ces marbres vénérés, arrêtez-vous au pied de celui de Molière[1],

  1. Par Houdon.