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DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

avoir écouté les cris de l’un à l’hôpital, et avoir lu ce que l’autre écrivait sur le mur de son cachot ; ces exemples innombrables des injustices de la société qui ne veut jamais avoir tort ne sauraient se justifier par aucun paradoxe. C’est une bien cruelle plaisanterie que de dire à quatre siècles de distance que ces illustres infortunés ne se plaignirent pas, parce que nous n’avons pas entendu leurs plaintes à travers les temps ; c’est une curieuse manière d’argumenter que celle-ci : — Courbez-vous sous tous les bâtons, rentrez dans la souillure et la honte après avoir produit des œuvres distinguées, jeunes gens instruits et bien élevés de notre époque, puisqu’au XVIe siècle un enfant de huit ans, fils d’un paysan et ne sachant pas lire, garda les pourceaux avant de devenir un grand pape, et parce qu’au dix-huitième un autre enfant ignorant fut laquais à seize ans, vingt ans avant d’être un grand écrivain. Ces jeunes gens, doux et graves, que nous voyons chaque jour autour de nous, sauront bien répondre à ces étranges conseillers : « Pourquoi donc nos deux révolutions, si l’on écrit encore de telles choses ? Vous voulez nous corrompre le cœur et nous amener au mépris de nous-mêmes en confondant tout et en troublant notre esprit. Sans doute ils étaient courbés bien bas ceux à qui nous dressons des statues, mais ils pouvaient encore se consoler en voyant que tout était désordre et injustes humiliations autour d’eux et dans leurs siècles encore barbares. Quand l’homme de guerre vivait de pillages et vendait son sang au plus offrant, quand tous les habitans d’une capitale, rangés à coups de bâton et tenant une torche de chaque main, servaient de candélabres aux danses lascives d’un roi à demi fou, quand il n’y avait que des valets et des maîtres et rarement un citoyen, l’homme de lettres, qui n’était bon qu’à divertir et n’instruisait qu’à la dérobée et sans avoir l’air d’y prétendre, pouvait bien être aux gages d’un financier et lui écrire : J’ai l’honneur de vous appartenir. Mais aujourd’hui, s’il est vrai que tout travailleur soit traité selon le but de ses œuvres, et que ses droits à une vie indépendante et respectée soient consacrés par des institutions achetées assez cher, du plus pur de notre sang, gardez-vous de nous conseiller de prendre notre parti du dédain, sous prétexte de nous donner de l’énergie. Si nos œuvres, faites avec tant de travaux douloureux, sont mauvaises, ou si, étant bonnes, elles tardent à être appréciées, nous saurons nous taire et en faire d’autres. Si nous ne pouvons vivre ainsi, nous vivrons à notre manière, et, sans abaissement honteux, nous serons soldats volon-