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taires à Alger ou ouvriers à Paris, quoique tout énervés par les effrayans labeurs du cerveau. Quand nous serons malades, on nous portera à l’hôpital comme Hégésippe Moreau, et nous y mourrons en silence près des sœurs de charité, mais nous aurons protesté et déclaré nos droits à une vie décente et honorée, ce premier besoin de tout homme de notre temps dont l’esprit est éclairé, par une éducation libérale et un travail assidu : Labor improbus. »

Si des paroles d’un simple bon sens ne répondaient ainsi quelquefois à des paradoxes injurieux, répétés à dessein, ceux d’entre vous, messieurs, qui sont le plus en garde contre certaines feuilles, pourraient croire que les hommes de lettres en sont venus à faire trop bon marché des lettres et d’eux-mêmes, et à se laisser classer trop bas ; jamais on n’aurait une idée vraie de ce que mérite d’estime cette grande république des lettres. Autorisés par leur propre exemple, vous vous fortifieriez dans l’habitude déjà trop reçue parmi vous de traiter légèrement toute question d’art ; vous oublieriez entièrement ce que méritent d’égards ces hommes qui possèdent le seul talent incontestable dont le ciel ait fait présent à la terre, et de qui Platon, vous vous en souvenez, a dit : « Le poète est un être ailé et sacré. Il est incapable de chanter avant que le délire de l’enthousiasme arrive. Il a une force divine qui le transporte, semblable à celle de la pierre magnétique. Une longue chaîne d’anneaux de fer suspendus les uns aux autres empruntent leur vertu de cette pierre. Le poète emprunte la sienne à la muse et la communique à l’acteur. » — Et si vous entrez attentivement dans l’examen des disproportions qui existent aujourd’hui entre cette condition et les autres ; convaincus qu’elle est demeurée seule en arrière dans le progrès général du bien-être, vous ne permettrez plus qu’on pousse trop loin, en votre nom, ces recherches inquisitoriales qui, pour dépister quelques intrigans, forcent de savans et nobles vieillards à expliquer publiquement comment et pourquoi ils reçoivent de notre riche nation le plus misérable secours, le plus pauvre et frêle bâton de vieillesse, auquel ils ont droit aussi bien que le magistrat, l’homme de guerre et l’administrateur. Vous voudrez donner suite, avant peu, à ce projet que la chambre des pairs a déjà discuté, et dont j’ai voulu parler ici après vous avoir donné, par l’histoire de Mlle Sédaine, le plus triste exemple de l’insuffisance de nos lois sur l’héritage littéraire. Le sentiment qui a dominé dans la chambre haute, lors de cette discussion, fut sans doute le désir de donner à la vie privée des auteurs, et à celle de leur famille après