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En veut-on la meilleure, la plus décisive des démonstrations ? Elle se trouve pour nous dans l’humeur que le projet de loi a donnée à l’étranger. On le critique, on le blâme, on en déconseille l’adoption. Adoptons-le. L’humeur de l’étranger est un excellent criterium de la bonté du projet de loi.

Le rejet de la loi serait un évènement grave et fâcheux pour tout le monde, pour le pays, pour le gouvernement, pour le cabinet, pour la chambre elle-même.

Le pays, par des craintes chimériques et une économie mal entendue, se trouverait privé, Dieu sait pour combien d’années encore, d’un moyen de sûreté et de puissance que les circonstances lui commandent impérieusement de se donner. La France est isolée ; quoi qu’on fasse, elle le sera long-temps encore. En brisant l’alliance anglo-française, lord Palmerston ne se doutait peut-être pas de toutes les conséquences de cet acte d’orgueil et de légèreté. L’alliance anglo-française était l’ancre de la paix européenne, et cette alliance n’est aujourd’hui qu’un vain mot. Le maintien de la paix est possible encore, mais la France serait inexcusable, si, tout en désirant vivement le maintien de la paix, elle n’embrassait pas dans ses prévisions des évènemens d’une autre nature.

Le gouvernement du pays a besoin, avant tout, de force et de grandeur. Les fortifications de Paris sont un grand acte national. Le gouvernement de juillet veut faire ce que Vauban et l’empereur avaient imaginé dans leur vive sollicitude pour la sûreté et la puissance de la France, dans la tendresse naturelle, pour parler comme Vauban, qu’en hommes de bien ils avaient pour la patrie ; il veut réaliser une grande pensée que d’autres ont conçue, que nul n’a pu mettre à exécution jusqu’ici. Le rejet de la loi serait un affaiblissement pour le pouvoir, il tendrait à prouver qu’il n’y a pas unité de vues entre le gouvernement et le pays ; c’est une mesure trop capitale pour que le dissentiment soit chose indifférente. Le gouvernement a pris l’initiative ; le pays lui donnera-t-il un démenti ?

Le cabinet serait fort embarrassé par le rejet de la loi. S’il ne l’a pas inventée, il l’a adoptée ; il l’a faite sienne ; le projet lui appartient autant qu’au 1er mars, autant qu’à la commission de la chambre. La commission, par un juste sentiment de l’importance de la mesure, a mis de côté toute idée trop absolue ; elle a fait de nobles sacrifices d’opinion ; elle est tombée parfaitement d’accord avec le ministère. Dès-lors le rejet de la loi serait un échec pour le cabinet, un échec grave. Il prouverait qu’il n’a pu ou qu’il n’a pas voulu exercer d’influence sur ses amis. Ce serait un échec à moins qu’on ne le crût complice, mais ce serait alors une trahison.

Le ministère n’ignore sans doute pas qu’il circule d’étranges bruits sur son compte. On dit que la plupart des ministres n’ont aucun goût pour le projet de loi, que deux ou trois seulement en désirent fermement l’adoption, que les autres déguisent fort mal leurs répugnances. Nous aimons à croire que ce sont là propos inconsidérés de subalternes, suppositions gratuites de ces hommes qui se croient tout permis pour faire échouer une mesure qui n’a pas