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À quinze lieues environ dans le sud-est de Buénos-Ayres se trouve un petit port connu dans le pays sous le nom de l’Atalaya. Là s’est établi, disait-on, un entrepôt de toutes sortes de marchandises de contrebande, et la fraude s’y fait à une prime très faible. Dans ce port, ou plutôt dans cette crique, on comptait en effet vingt-un bâtimens de commerce. Ils y étaient entrés sans difficulté, attendu que nul navire de guerre n’avait croisé dans ces parages pour les arrêter ; car, nous l’avons dit plus haut, on avait été obligé de disloquer le blocus pour l’expédition du Parana. Le 3 mai 1839, les bricks la Bordelaise et le Lutin allèrent reconnaître les plages et éclairer la côte. Ces navires ignoraient encore le vrai but de leur mission, lorsque le 7, pendant la nuit, ils furent joints par une flottille de canots qui venait pour pénétrer dans la rivière et livrer aux flammes tous les bâtimens qui s’y trouvaient. Ce ne fut que le 9 dans la matinée que l’état de la mer permit d’effectuer le débarquement projeté. La rivière de la Madeleine ou de l’Atalaya trace mille sinuosités dans la plaine avant de se jeter dans le Rio de la Plata ; entre son embouchure et le renflement de son lit, qui forme le réduit ou petit port de l’Atalaya on compte huit méandres ; les roseaux et les broussailles dont ses rives sont couvertes, dérobent aux yeux ses paisibles eaux. La flottille, composée de dix-huit canots, remonta lentement le lit tortueux de la rivière. La mer était calme ; le soleil brillait au ciel et faisait resplendir les armes de nos matelots dont la ligne d’embarcations s’allongeait et se repliait tour à tour en serpentant comme le cours de l’eau. L’officier qui commandait avait jeté sur le rivage une troupe d’éclaireurs pour battre le terrain couvert ; mais tel était l’inextricable réseau formé par les broussailles, qu’on eût difficilement arrêté la cavalerie ennemie, habituée à ce terrain, et qui accourut au galop lorsque nos matelots, engagés trop avant, ne pouvaient déjà plus reculer, si la Bordelaise n’eût pris spontanément une position d’où son artillerie balaya la plaine et traça par la portée de ses canons un cercle infranchissable aux Argentins. Cet heureux embossage de la Bordelaise assura le succès : l’ennemi n’osa point approcher, et ses coups, annulés par la distance, tombèrent sans force au milieu de nos marins, dont deux seulement furent blessés. Chacun s’arma de torches, et la flamme de l’incendie dévora bientôt quatorze des bâtimens marchands ; sept échappèrent, parce que le feu, mal attaché à leurs flancs, s’éteignit de lui-même. Cette expédition put donner une haute idée de la discipline de nos marins, car ils défoncèrent sur la plage deux cents barriques de vin, et il n’en résulta aucun désordre.

La petite flottille sortit de la rivière comme elle y était entrée, laissant seulement derrière elle, pour marquer sa trace, un épais nuage de fumée sillonné de grandes flammes rouges et déchiré de temps en temps par des explosions de navires.

Une autre expédition du même genre eut lieu le 20 juin dans la rivière du Sauce ; mais là il ne fut pas possible de nous embosser de manière à couvrir le rivage du feu de nos canons. Nous réussîmes à incendier quelques contrebandiers ; malheureusement nous eûmes à déplorer la perte de trois