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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

hommes, parmi lesquels on compta un élève de marine, le jeune Redon, à qui l’avenir semblait promettre une belle carrière. On fit encore sur divers points de la côte quelques descentes, mais trop peu heureuses ou trop peu importantes pour qu’il en soit fait mention ici. La nécessité seule peut justifier les actes dont le but unique est la destruction.

§ VI. — LA GUERRE CIVILE ALLUMÉE PAR NOS AGENS. — SECONDE
COALITION CONTRE LE GÉNÉRAL ROSAS.

Le général Lavalle vivait à la Colonia, loin des affaires publiques : il cherchait dans les soins affectueux de sa famille, la plus charmante qui se puisse imaginer, une consolation aux déceptions de la vie politique. Blessé au cœur, désespérant de sa cause et de sa patrie, dégoûté de la guerre, il avait déposé les armes en jurant qu’il ne les reprendrait plus. Dans l’amertume de ses souvenirs, il exhalait son indignation contre le général Rivera, l’accusant hautement de duplicité et lui reprochant un affreux égoïsme. Il est des ménagemens que l’on doit au malheur ; peut-être le président Rivera n’avait-il point assez caché un sentiment de rivalité jalouse, et le trait restait dans l’ame du proscrit, qui se repliait en vain dans les joies du foyer domestique, seule patrie qui lui restât. Mais il ne languit pas long-temps dans cette molle oisiveté. Les exilés, ses compagnons d’infortune, épiaient toutes les occasions de retour dans leur pays. Ces malheureux sentirent leurs espérances se réveiller plus vives que jamais, au moment où nos agens laissèrent éclater leur dépit contre Rosas. L’amiral et le chargé d’affaires se virent entourés : on flattait leur indignation ; chacune de leurs malédictions trouvait un écho ; autour d’eux on ne parlait qu’un seul et même langage, celui qui charmait leur penchant. Les provinces argentines, disait-on, courbées depuis trop long-temps sous leur tyran, appellent un libérateur ; qu’importe que Rivera recule devant cette noble mission ? il ne fait défaut qu’à sa gloire ; le premier chef armé qui déploiera le drapeau de la liberté sur le sol argentin, ralliera à lui toutes les populations. Et pour établir cette opinion, on produisait des lettres des hommes les plus influens, émanées, disait-on, des quatre coins de la république, qui annonçaient la chute inévitable du barbare. Au milieu de ce concert de réprobation contre Rosas, où nulle voix ne s’élevait pour modérer l’entraînement général, nos représentans, qu’emportait d’ailleurs l’ardeur de leurs désirs, se bercèrent de cette flatteuse pensée, que leur colère était l’expression du vœu unanime, et que le destin les désignait pour briser le joug d’un chef odieux à tous. Cette opinion leur parut irréfragable ; et, croyant poursuivre un tyran détesté, au nom de toutes les relations sociales, de la civilisation, de l’humanité, ils allumèrent la guerre civile au sein des provinces argentines.

Tous les proscrits s’accordèrent à désigner le général Lavalle pour être le mandataire suprême de la sainte cause. Ils lui envoyèrent une députation ; mais